Marseille, 1198
les falaises du plateau. Il s’était finalement rendu à
ses arguments et lui avait laissé choisir la corde et la cordelette de soie
chez le cordier.
Son dessein était simple. La nuit tombée, ils approcheraient
l’éperon du côté nord, évitant de se faire voir de la tour Paravelle. Au pied
des rochers, il aurait à portée la galerie des latrines construites sur de
grosses poutres de bois. Il lancerait une flèche à l’anneau de laquelle serait
glissé le filin de soie. Bien enfoncée dans une poutre, il ferait glisser la
cordelette et tirerait la corde. Anna Maria, plus légère, n’aurait plus qu’à
grimper.
Une fois dans le château, ils iraient chercher Ibn
Rushd et Nedjm Arslan dans le logis des chevaliers. S’ils rencontraient des
gardes, il les tuerait. Ensuite, ils feraient exploser les pots à feu,
briseraient la porte des prisons, mettraient le feu au château et fileraient
par le pont-levis comme ils l’avaient prévu.
Bien avant sexte, ils avaient tout leur matériel,
mais ne pouvant agir avant la nuit, ils dînèrent au monastère. Ensuite, pour
passer le temps, ils partirent se promener dans les ruines des monuments
romains. Locksley avait décidé de ne reprendre le chemin des Baux qu’après
quatre heures. Comme c’était l’heure du souper au château, il y aurait moins de
risques de rencontrer une patrouille qui les aurait reconnus.
Ils étaient devant un arc de triomphe érigé pour
un empereur oublié quand ils virent arriver, du val d’Enfer, un vilain en sayon
à capuchon. Comme il se dirigeait vers eux, Robert de Locksley se tint sur ses
gardes, mais en s’approchant, l’homme baissa son capuchon et il reconnut
Pierre, le père du berger pendu.
— J’espérais vous retrouver ici, leur dit-il
simplement.
— Comment saviez-vous que nous y
serions ?
— Ce matin, à la ferme, j’ai rencontré celui
qui vous a prévenu pour le frère de la dame (il désigna Anna Maria). Il m’a dit
que vous aviez quitté le château avec elle. Ceux qui vous ont accompagnés à la
porte lui ont rapporté que vous vouliez passer la nuit au monastère. J’ai pensé
que vous resteriez là quelques jours.
— Pourquoi ? demanda Robert de Locksley
avec méfiance.
— Parce qu’il n’est pas facile de se séparer
de ses amis et de sa famille.
Il les regarda avec tristesse.
— On a enseveli mon fils près de la chapelle.
Merci pour votre pièce.
Il retint une larme.
— Je suis venu vous proposer mon aide. Je
peux vous faire entrer dans le château.
— Pourquoi voudrions-nous y retourner ?
— Elle est venue avec le viguier de Marseille
qui est prisonnier avec son frère. Elle pourrait désirer qu’ils s’évadent.
— Comment nous feriez-vous entrer ?
— Il y a un souterrain, depuis la chapelle
Saint-Blaise.
— Il arrive où ?
— Je ne sais pas. Je l’ai emprunté une fois,
avec le prêtre, mais il y a une porte en chêne au fond. Elle doit ouvrir dans
les caves, mais seul le seigneur doit en avoir la clef.
— Un souterrain dont tout le monde connaît
l’entrée ? ironisa Locksley. Et les seigneurs des Baux ne l’ont jamais
bouché ?
— Personne ne le connaît, seigneur, c’est le
prêtre qui l’a découvert par hasard.
— Comment ?
— Il y a une carrière à côté de la chapelle.
En réalité une grande fosse, mais les seigneurs interdisent depuis toujours
d’en sortir des pierres. Cela n’a même pas été possible pour la construction de
la chapelle, et personne ne s’avise de désobéir. Le seigneur n’a pas le pardon
facile. De toute façon, l’endroit est envahi de ronces, de chênes et de
chèvrefeuille. Un jour, le prêtre, qui a sa maison à côté, a vu un lièvre filer
sous les taillis, au fond de la carrière. Il ne mange pas beaucoup de viande,
aussi a-t-il décidé de mettre un collet, mais comme il craignait qu’on ne le
découvre, car la chasse sur les terres du seigneur est punie de mort, il s’est
frayé un chemin dans les broussailles pour cacher le piège au fond. C’est là
qu’il a découvert une petite ouverture. Il a tout de suite pensé à la sainte
relique.
— Quelle sainte relique ?
— Celle de Balthazar, le roi mage, fit
Pierre, comme si c’était évident.
— Il est venu ici ? sourit Locksley,
bien qu’il n’ait guère le cœur à ça.
— Bien sûr ! Les seigneurs des Baux sont
ses descendants !
— Pourquoi serait-il venu ? demanda Anna
Maria.
— Je ne sais pas,
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