Marseille, 1198
les
constellations qu’il connaissait.
— Allons vers l’est, dit-il. Par là.
Ils repartirent en courant à travers un herbage à
moutons. Soudain, le sol se déroba sous eux et ils roulèrent dans une ravine
encaissée, se blessant aux jambes et aux bras. Guilhem parvint à se relever le
premier. Ils étaient au fond d’un petit torrent caillouteux et il entendit
Roncelin gémir.
— Blessé ?
Malgré ses douleurs, il lui tendit une main. Le
vicomte de Marseille se releva en haletant.
— Ça ira, mais j’ai bien cru m’être brisé la
jambe. J’ai besoin de récupérer…
— Non, s’ils nous rattrapent, vous savez ce
qui nous attend ?
La peur leur donna de nouvelles forces et ils
repartirent en suivant le fossé. Plus loin, ils parvinrent à remonter de
l’autre côté en s’agrippant à des branches et à des racines.
Le pâturage se terminait et ils découvrirent une
piste utilisée par les moutons. Roncelin boitait et n’avançait pas vite. C’est
alors qu’ils entendirent derrière eux des aboiements de chiens.
Ils reprirent leur course. Le chemin devint plus
incertain, à moins qu’ils ne l’aient perdu, et ils se retrouvèrent au milieu
d’épais bosquets. Ils couraient malgré les branches qui les cinglaient et
griffaient leur visage et leurs mains. Au bout d’un moment, pantelants, ils
s’arrêtèrent pour reprendre leur souffle. Guilhem sentait le sang couler de ses
mains déchirées par les ronces. Haletant, il prit conscience que les aboiements
avaient cessé. Les bêtes avaient-elles flairé une autre piste ? Peut-être
avaient-elles perdu leur trace au fossé, se dit-il.
Marchant moins vite, maintenant qu’ils n’étaient
plus poursuivis, ils débouchèrent dans un champ d’oliviers au bout duquel ils
aperçurent des ombres mouvantes. Quelques paroles incompréhensibles parvinrent
même à leurs oreilles. Était-ce leurs poursuivants qui les avaient contournés,
ou avaient-ils rattrapé leurs amis ? Guilhem s’arrêta, mit un doigt sur sa
bouche pour faire comprendre à Roncelin de rester silencieux. Il déposa contre
un arbre tout ce qu’il transportait et dégaina lentement son épée, puis se
baissa et s’avança avec précaution. Combien étaient-ils ? Quatre ou cinq,
lui sembla-t-il, assis sur des souches. Ils semblaient se reposer, donc ce ne
pouvait être des gens d’armes du château. C’est alors qu’il distingua, à la
lueur laiteuse de la lune, le vague reflet roux d’une longue chevelure.
— Anna Maria, c’est moi, Guilhem d’Ussel !
Je suis avec le seigneur Roncelin ! lança-t-il, soulagé.
— Roncelin ? interrogea une autre voix
que Guilhem reconnut comme celle du viguier Hugues de Fer.
Il était donc libre lui aussi ! Ils avaient
réussi !
— Je m’apprêtais à vous tirer dessus, fit la
voix peu amène de Robert de Locksley dans leur dos. Je croyais que c’étaient
nos poursuivants.
— Tu nous avais vus ? demanda Guilhem en
se retournant.
— Depuis longtemps, répliqua Locksley en se
découvrant. La forêt est mon royaume.
Son ton restait distant, méfiant.
— On est à nos trousses. Il faut filer.
En parlant, Guilhem avait rengainé son épée et
était revenu vers Roncelin pour reprendre ses bagages, tandis que les autres
s’approchaient d’eux. Guilhem remarqua qu’ils n’étaient que cinq et son cœur se
serra. Il essaya de distinguer les silhouettes pour savoir qui manquait.
— Comment êtes-vous sortis ?
demanda-t-il.
— Avec sa poudre, Nedjm a brisé les portes
des prisons et semé un effroyable désordre au château, expliqua Ibn Rushd, qui
paraissait le plus heureux de le revoir, mais nous n’avons pu prendre le
pont-levis, trop bien gardé. Nous avons utilisé un passage dans la muraille
dont Nedjm a détruit la grille.
— Je ne le vois pas, dit Guilhem.
— Il est mort, expliqua Locksley. La falaise
s’est écroulée sur lui quand il tentait de refermer le trou par où nous étions
sortis. Mais vous-même, d’où venez-vous, et que portez-vous ainsi ?
— Des armes du château et d’autres choses qui
t’intéresseront, mon ami, et vous aussi, seigneur viguier. J’ai emporté tout ce
que j’ai trouvé dans la chambre de Hugues des Baux, même votre vicomte,
ironisa-t-il en désignant Roncelin qui attendait à l’écart.
À ces mots, Fer s’approcha de Roncelin et mit un
genou au sol pour lui rendre hommage.
— J’ai là deux hauberts, dont un est à toi,
Robert.
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