Marseille, 1198
autres étaient trop près pour que Locksley puisse tirer à
nouveau. Deux chiens sautèrent sur Guilhem et Hugues de Fer. Guilhem fendit le
crâne du sien avant même qu’il parvienne à lui. Le second, de sa mâchoire
puissante, saisit le viguier au bras, mais sans parvenir à percer le haubert de
fer. Ce fut Anna Maria, avec sa dague, qui lui trancha la gorge tandis qu’il se
débattait.
Le combat cessa aussitôt, car il n’y avait que
trois molosses. Dans un buisson, l’un d’eux remuait encore et geignait
doucement. Guilhem abrégea ses souffrances d’un coup d’épée.
C’étaient les chiens qui dormaient dans la grande
salle, remarqua-t-il en reconnaissant leur museau plissé. Des bêtes puissantes,
mais affectueuses tant qu’on ne leur demandait pas de se battre. Quel dommage
que leur mort soit inutile, se dit-il en se souvenant de les avoir caressés.
Des appels retentirent :
— Rigault ! Souillard !
Perro !
— Où êtes-vous, bons chiens ?
Les voix se rapprochaient.
Devant ses compagnons stupéfaits, Guilhem se mit
alors à grogner comme le faisaient les dogues, puis il aboya avec une telle
véracité que Roncelin prit peur. Bartolomeo comprit ce que voulait faire
Guilhem et aboya à son tour.
— Ils sont là ! lança une voix toute
proche.
Entrant dans la clairière, celui qui venait de
crier reçut une flèche dans la poitrine sans que ses compagnons s’en
aperçoivent, car Bartolomeo aboyait à qui mieux mieux. Les autres
s’approchèrent sans plus de méfiance et s’écroulèrent à leur tour sous les
traits de l’archer.
— Attention ! cria enfin l’un d’eux,
voyant tomber son voisin, c’est un guet-apens !
Fer s’était déjà précipité vers lui et le coupa en
deux d’un coup de taille. Immédiatement, ce fut la débandade.
— Nous serons tranquilles un moment, souffla
Guilhem. Le temps qu’ils retournent au château et ramènent du renfort, nous
serons loin.
— Sauf qu’ils vont maintenant nous poursuivre
à cheval, remarqua Roncelin sombrement.
Pendant qu’il s’inquiétait ainsi, Locksley
récupérait ses flèches.
— Combien en as-tu ? lui demanda
Guilhem.
— Moins de vingt.
— Ils seront certainement plus de vingt à
notre poursuite.
— Sans doute. Sans chevaux, nous ne nous en
tirerons pas, mon ami.
Pour la première fois, il s’était adressé à
Guilhem chaleureusement, comme au temps de leur amitié.
Chapitre 32
I ls
repartirent dans l’obscurité, toujours guidés par les étoiles qu’Ibn Rushd
observait dès qu’elles étaient visibles.
Au bout d’une heure de marche, ils s’arrêtèrent un
moment pour se reposer. Ils souffraient de la soif, n’ayant pas trouvé d’eau.
— Peut-être abandonneront-ils la poursuite,
suggéra Fer. Qu’ont-ils à y gagner ? La vengeance ? Mais ce serait au
prix de telles pertes ! Je ne crois pas valoir ça, ni Bartolomeo.
— Ils n’abandonneront pas, dit seulement
Guilhem.
— Pourquoi êtes-vous si sûr de vous ?
s’enquit Fer avec un brin d’agacement.
— Pour ça ! répliqua Guilhem en frappant
sur le sac de cuir sur son épaule. Repartons, maintenant. Si on doit se battre,
autant choisir l’endroit et les voir arriver.
Ils marchèrent encore plus de deux heures sur un
terrain accidenté, sans presque parler tant ils étaient fatigués par le poids
des hauberts et des armes.
Par instants, Ibn Rushd s’arrêtait et murmurait
des mots dans sa langue avant de reprendre sa marche. Les autres le suivaient
avec confiance, ignorant que le médecin ne savait plus où diriger ses pas. Les
mots incompréhensibles qu’il marmonnait étaient des supplications à son dieu.
— Bism-illâh-ir-Rahman-ir-Rahîm [44] .
Wa bika asta’înu fîmâ yaqtarinu bih-in-najâhu wa-l-injâhu [45] . Bika astajîru [46] …
Guilhem commençait à se douter qu’ils étaient
perdus. Tant qu’il avait aperçu les étoiles, il était resté confiant, certain
qu’à l’aurore ils auraient rejoint les marécages longeant la route d’Arles.
Mais depuis une heure, ils traversaient une épaisse forêt, ne suivant que des
sentes de bêtes sauvages. Il ne voyait que rarement le ciel et jamais
suffisamment pour se repérer. Finalement, Ibn Rushd s’arrêta et s’assit sur une
souche, découragé.
— Mes jambes ne me portent plus, dit-il.
Attendons l’aube.
Ils l’imitèrent tant ils étaient épuisés. Roncelin
sortit le pain et en coupa d’épaisses tranches qu’il
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