Marseille, 1198
ouvrier et la suivit
dans sa maison.
— Je vois que vos affaires sont prospères,
plaisanta-t-il.
Elle essuya ses mains au tablier qu’elle portait
sur son bliaut.
— Je vendrais deux fois plus de peaux si on
nous laissait en acheter à d’autres qu’aux bouchers de la ville. Mais je
suppose que vous ne venez pas me voir pour parler de mon commerce.
Comme la dernière fois, des servantes travaillaient
dans la grande pièce et elle le fit monter dans sa chambre par l’échelle. Comme
la dernière fois, elle le conduisit au banc devant la fenêtre, en passant entre
les ballots de peaux.
— C’est là que nous nous installions avec ma
sœur quand nous avions à parler de la tannerie, expliqua-t-elle. Au milieu de
ces monceaux de peaux tannées qui sont notre fortune et notre raison d’être.
Nous étions seules, mais par la fenêtre nous pouvions surveiller les ouvriers
dans la cour…
Elle s’assit et lui fit signe d’en faire autant.
Son visage ne reflétait rien.
— … Mais Madeleine n’est plus sur cette
terre, et je n’ai plus personne avec qui parler, poursuivit-elle, le regard
lointain.
Elle resta silencieuse un instant, puis lui prit
les mains et lui ôta ses gants de cuir clouté.
— Je veux tout savoir.
— C’est une très longue histoire, dame
Constance.
— Je veux l’entendre, et ensuite j’espère que
vous me ferez l’honneur de rester à souper.
Il lui dit donc à peu près tout. Quelqu’un avait
prévenu Castillon que le vicomte passerait la nuit à la tour de la Porte Galle
avec une femme et sans escorte. Les Baussenques attendaient cette opportunité,
car une fois prisonnier Roncelin n’aurait eu d’autre choix que de leur vendre
ses parts de la vicomté contre sa liberté. Rostang de Castillon commandait la
troupe des gens des Baux. C’est lui qui avait abusé de Madeleine pendant que le
vicomte était maîtrisé. Mais celui qui avait averti les Baussenques de la
présence de Roncelin voulait aussi se débarrasser de Hugues de Fer qui gênait
ses desseins. Or le viguier était aussi un obstacle pour Hugues des Baux. Pour
ces raisons, Castillon avait laissé un morceau de tissu à la comète dans la
main de Madeleine. Le crime étant signé, tout devait ensuite être fait pour
inciter Hugues de Fer à délivrer Roncelin. Il était tombé dans le piège, et
arrivé aux Baux, il était attendu.
— … Ou plus exactement, nous étions
attendus…
— Qui pouvait en vouloir à notre viguier pour
élaborer un plan si hideux ? Mais poursuivez plutôt, je vous questionnerai
ensuite.
Il parla alors de ses compagnons, surtout de Nedjm
Arslan qui connaissait le secret d’une poudre fabuleuse, puis il expliqua
comment ils étaient entrés dans le nid d’aigle, et comment ils avaient été
dénoncés.
— Savez-vous qui est le félon qui vous a
livrés ?
— Oui, car il avait envoyé un message à
Castillon lui annonçant notre arrivée, message que j’ai retrouvé et dont le
viguier a reconnu l’écriture.
— Dites-moi son nom.
— Demain, il y aura réunion des consuls et
Hugues de Fer le mettra en accusation. Je ne peux vous livrer son nom avant.
Elle parut accepter sa réponse et hocha la tête.
— Vous ne voulez pas savoir ce qu’il est
advenu de Castillon ? lui demanda-t-il avec un sourire complice.
— Je n’osais le demander, répliqua-t-elle en
lui serrant les mains.
— Le félon avait donc prévenu Castillon et
Hugues des Baux de notre venue, mais il croyait que nous n’étions que trois…
Il raconta alors la capture de Hugues de Fer, puis
comment lui-même avait failli être pendu et comment Robert de Locksley avait
gagné Anna Maria lors d’une joute à l’arc. Enfin ce fut le récit de la dernière
nuit, comment il était allé protéger Baralle qu’il croyait battue par son mari,
et comment le garde du corps de Hugues des Baux avait massacré à coups de masse
l’assassin de Madeleine.
— Comme vous le voyez, ce n’est pas moi qui
ai châtié l’assassin de votre sœur, conclut-il.
— Il est mort, et mon cœur est joyeux,
dit-elle, mais hélas ma vengeance n’est pas accomplie.
— Je suis venu vous voir pour une autre
raison, Constance. Avant mon départ, on a tenté de me tuer. J’ai toutes les
raisons de croire que c’est l’un de vos proches qui est jaloux de moi et j’ai
besoin de vous pour l’identifier.
— Que dois-je faire ?
Chapitre 34
C ’était
la nuit, profonde et hostile. Ils
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