Marseille, 1198
vous n’obéissez pas, je lui tranche les
poignets ! cria-t-il.
— Non ! Pitié ! gémit la (fausse)
voix de Coutignac ! Obéissez, marauds, ou je vous ferai aussi trancher les
mains !
Sous cette menace, tous sautèrent au sol et l’un
d’eux rassembla les montures. Coutignac tentait de se débattre mais à chaque
mouvement qu’il faisait, sa bouche s’ensanglantait un peu plus. Quant au
sergent, Fer l’avait fait mettre à genoux, la tête maintenue contre le sol par
son épée.
Les chevaux arrivèrent, conduits par un homme à
pied.
— Bartolomeo, laisse-nous deux montures et
file avec les autres. Nous vous rejoindrons.
L’Italien s’exécuta. Quand Guilhem vit que ses
compagnons étaient tous en selle, il dit à Fer qu’il pouvait partir à son tour.
Le viguier ramassa les armes et monta sur un des chevaux.
Fer libéra alors Coutignac.
— Il n’y a si bonne compagnie qu’elle ne se
sépare ! lui dit-il ironiquement, sautant sur le dos du dernier cheval.
Le chevalier tenta de se relever, son visage
n’était que haine et fureur. De sa bouche meurtrie et sanguinolente, il
cracha :
— Dieu me damne, Ussel, je vous retrouverai,
fussiez-vous caché au bout du monde !
— Vous n’aurez aucune peine, je ne suis qu’un
troubadour, répliqua Guilhem avec un grand sourire épanoui, mettant sa monture
au galop.
Chapitre 33
S ans
forcer leurs montures, en faisant tout de même le moins de haltes possible par
crainte d’être rattrapés, ils chevauchèrent jusqu’au castrum de Sallone où ils
demandèrent au vicaire l’hospitalité pour la nuit. Comme lors de leur premier
passage, l’archevêque d’Arles voulut les recevoir avec honneur, mais étant
arrivés bien après le souper, ils dînèrent dans leur chambre, une grande pièce
à plusieurs lits.
Ce fut un joyeux souper, tout en rires et en
chansons, avec des vins capiteux et abondants. On ne leur servit ni porc ni
sanglier, mais de l’agneau rôti et du cabri en ragoût ainsi que du poisson
pêché dans les étangs proches. Anna Maria chanta quelques couplets, accompagnée
de Guilhem. Bartolomeo se livra à une désopilante imitation d’un dialogue
imaginaire entre Locksley et Rostang de Castillon sur la meilleure façon de
tirer à l’arc. Seul Roncelin resta taciturne.
Le seigneur de Marseille retrouvait la liberté,
mais aussi ses dettes et ses créanciers. En le voyant si sombre, Hugues de Fer
songea que c’était sans doute pour ces dernières raisons que le vicomte ne
participait pas à l’allégresse générale. Il ne se doutait pas que l’amertume de
Roncelin ne venait pas de ce qui l’attendait, mais du comportement qu’il avait
eu envers les deux femmes qu’il n’avait pas su protéger.
C’est à la fin de ce repas, tandis que les
serviteurs étaient tous sortis après leur avoir laissé des pommes et des
massepains, qu’ils parlèrent pour la première fois de l’avenir. Locksley
annonça à ses compagnons qu’il reprendrait la route dans les jours prochains
pour rejoindre le roi Richard et qu’Anna Maria l’accompagnerait, car elle avait
accepté de l’épouser. Bartolomeo le savait déjà, sa sœur lui ayant dit qu’ils
partaient en Angleterre. Par contre, elle ignorait que, pour la première fois
de sa vie, son frère ne souhaitait pas faire comme elle, aussi resta-t-elle
pétrifiée quand il déclara qu’il ne les accompagnerait pas.
— Mais, Bartolomeo, tu as besoin de
moi ! fit-elle comme une évidence.
— Ma chère sœur, cette aventure m’a ouvert
les yeux, répondit-il. J’ai été battu, emprisonné, presque pendu et attaqué par
des chiens féroces. Pourtant j’ai survécu. Je suis donc capable de vivre seul,
car que pourrait-il m’arriver de pire ? Épouse le seigneur de Huntington
et sois heureuse. Je t’ai trop longtemps empêchée de connaître le bonheur.
Elle ne sut que répondre, sinon pour lui
demander :
— Vas-tu rentrer à Rome ?
— Non, ma sœur, sourit-il. Le seigneur Guilhem
m’a proposé d’entrer à son service.
En effet, en chevauchant sur la route de Sallone,
Guilhem avait parlé à Bartolomeo. Il savait combien le frère et la sœur étaient
proches, mais il devinait aussi que le comte de Huntington n’avait guère envie
de s’encombrer d’un beau-frère toujours à attendre que sa sœur lui dise ce
qu’il devait faire. Or lui-même avait besoin d’un écuyer et d’un compère quand
il jouait à la cour de Saint-Gilles. Même
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