Marseille, 1198
s’il paraissait peureux, Bartolomeo
avait montré son courage et sa détermination. De plus le jeune Italien était
fidèle et vigoureux, et surtout il possédait de véritables talents d’acrobate
et d’imitateur. Guilhem savait qu’il ne trouverait jamais un meilleur
serviteur.
Interloquée, Anna Maria considéra Guilhem avec une
nouvelle attention, prenant conscience qu’elle ne connaissait pas vraiment cet
homme qui lui prenait son frère. Il était généreux et en même temps
impitoyable, il jouait de la musique aussi bien qu’elle, il chantait
remarquablement juste, il était d’une force peu commune aux armes et… il était
le seul à l’avoir percée à jour. Qui était-il vraiment ? Que deviendrait
son frère avec un tel maître ? En la voyant ainsi désemparée, Guilhem
devina ses interrogations et ses craintes.
— Peut-être est-il l’heure de la vérité, mes
amis… Je devine que certains d’entre vous s’interrogent, se demandent même qui
je suis… Je dois donc vous avouer que je ne vous ai pas tout dit…
Fer dressa une oreille attentive. Comme les
autres, il avait décelé chez le troubadour une part obscure qu’il n’avait pu
percer. Guilhem d’Ussel semblait n’avoir ni foi ni morale et pourtant sa
loyauté était inébranlable. C’était un homme étrange, impossible à déchiffrer.
— Chevalier je suis, troubadour aussi. Je
suis bien marseillais. J’ai bien été capitaine chez les seigneurs Mercadier et
Cadoc. Sur tout cela, je ne vous ai pas menti. Mais je suis aussi un serviteur
du comte de Toulouse, Raymond de Saint-Gilles. C’est lui qui m’a envoyé en
Provence. Hugues des Baux lui avait assuré que le vicomte de Marseille était
sur le point de lui vendre ses parts sur la ville et il lui demandait une
alliance. Avant de décider, mon maître désirait savoir ce qu’il y avait de vrai
dans cette entreprise.
Tandis qu’il poursuivait en expliquant les
craintes du comte, cerné par de trop puissants voisins, Roncelin intervint,
prenant pour la première fois la parole durant le souper :
— Raymond de Saint-Gilles ne sera peut-être
pas content d’apprendre ce que vous avez fait à Hugues des Baux, s’il
envisageait de s’allier avec lui.
— Peut-être. Mais je lui répondrai que si, à
sept, dont une femme et un vieil homme, nous l’avons défait, c’est qu’il
n’aurait jamais été un allié crédible. Je suis sûr que le comte comprendra.
Même Roncelin sourit.
— Pour aller en Aquitaine, il serait prudent
que vous fassiez le chemin avec Guilhem si vous partez demain, suggéra Hugues
de Fer à Locksley.
— Nous ne sommes pas pressés. Je veux
toujours disposer de cinq ou six lances pour rejoindre Richard et j’engagerai
des hommes d’armes à Marseille grâce à l’or que Guilhem m’a donné. D’ailleurs,
n’avons-nous pas un travail à terminer là-bas ? Il reste à punir celui qui
vous a vendu à Castillon.
— Il sera sage en effet de traverser le fief
des Baussenques avec une forte troupe, même si Castillon est mort, reconnut
Guilhem. Quant au félon, j’ai une lettre à vous montrer.
Il sortit de sa heuse le parchemin pris dans le
dressoir de Hugues des Baux et le donna au viguier qui le lut deux fois avant
de dire :
— Ainsi, c’était lui ! Je m’en doutais,
mais comment a-t-il pu tomber si bas ? murmura Hugues de Fer.
Il donna le nom du traître et expliqua à ceux qui
ne le connaissaient pas quelle place éminente il tenait à Marseille.
— Je saurai le châtier, poursuivit-il, mais
ce ne peut être lui qui vous a demandé de me faire disparaître, noble Guilhem,
puisqu’il savait que Castillon m’attendrait. Il y a donc deux félons dans cette
ville.
— De quoi parlez-vous ? demanda Anna
Maria.
Guilhem lui raconta comment un moine de
Saint-Victor lui avait demandé de faire disparaître Hugues de Fer.
— … Ce n’est pas tout, poursuivit-il. À
peine ce moine était-il parti qu’on m’a attiré dans l’écurie de l’auberge où
deux ribauds ont essayé de me tuer. Sans Robert, je ne serais pas ici.
— Ils voulaient vous voler ? intervint
le vicomte Roncelin.
— Non, je suis bien trop pauvre. Ils
travaillaient pour quelqu’un, j’en suis certain.
— Qui ? demandèrent-ils d’une seule
voix.
— Je n’ai trouvé qu’une explication
satisfaisante. Constance Mont Laurier m’avait proposé le mariage si je ramenais
l’assassin de sa sœur. Cet homme n’a pas pu
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