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Marseille, 1198

Marseille, 1198

Titel: Marseille, 1198 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean (d) Aillon
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chemin raviné qui longeait le
petit cours d’eau jusqu’à une longue esplanade bordée de maisons et de
magasins. On y voyait des dizaines de cuves en bois de toutes tailles,
certaines enterrées comme des fosses. Une odeur âcre et prenante, mélange de
pourriture et de tanin, rendait l’air presque irrespirable. Un peu partout, sur
des cadres en branches à peine dégrossies, séchaient des peaux. Des dizaines
d’hommes, de femmes et d’enfants s’activaient, transportant jusqu’aux cuves des
seaux d’eau puisés dans le ruisseau, ou allant y vider l’eau salie. D’autres
déchargeaient de gros chariots d’écorces qui seraient finement broyées dans de
petits moulins, d’autres encore étendaient les peaux sorties des cuves pour les
sécher ou transportaient des cuirs écorchés sanguinolents arrivant juste des
boucheries.
    Ibn Rushd avait vécu suffisamment à Cordoue pour
connaître l’art de la tannerie et son usage [26] , mais la manière
marseillaise de traiter les peaux, dont on disait qu’elle avait été apportée
par les Grecs, était différente de celle de l’Andalousie, aussi était-il
curieux de l’observer.
    — Transformer le cuir rêche en une peau fine
douce comme du velours est une opération qui prend des semaines, expliqua le
viguier. Les peaux sont d’abord trempées dans des fosses d’eau et de chaux pour
enlever la chair et le poil, puis on les fait macérer dans des cuves contenant
de l’écorce d’un chêne qu’on appelle la garrouille [27] . Cette écorce est
écrasée avec des meules (il en désigna une). Il faut beaucoup d’eau et de bois,
car l’eau est chauffée pour donner de la souplesse au cuir. Les bains se
succèdent pendant des semaines, avec chaque fois un peu plus d’écorce, et aussi
des traitements dont les corroyeurs gardent précieusement le secret.
    — Sans ce ruisseau, vous n’auriez pas de
tannerie, remarqua Ibn Rushd. C’est une chance pour les tanneurs.
    — Ce sont les moines de Saint-Victor qui
l’ont dérivé depuis une rivière qui va jusqu’à la mer. À l’origine, c’était
pour arroser leurs jardins, mais les tanneries rapportent de tels bénéfices
qu’ils leur en ont laissé l’usage.
    Le viguier s’arrêta de parler pour s’approcher
d’une cuve. S’il avait plusieurs fois rencontré Madeleine Mont Laurier, il ne
connaissait pas sa sœur. Avisant un homme de petite taille à la bouche lippue
et aux boucles graisseuses, qui sortait des peaux du baquet, il lui
demanda :
    — Je cherche dame Constance Mont Laurier.
    L’autre le reconnut et s’inclina servilement.
    — Elle est là-bas, seigneur viguier, à la
maison aux deux fenêtres. Je vais vous conduire.
    Ils le suivirent au bout de l’esplanade jusqu’à
une construction de pierre à un étage contre laquelle poussait une vigne
formant une tonnelle. La maison, dont la porte et les fenêtres étaient voûtées
en cintre, était adossée à une vaste remise. Par son double vantail ouvert, on
apercevait à l’intérieur plusieurs cuves de chêne d’une demi-canne de hauteur.
Une dizaine d’ouvriers, en tunique de toile et en grèges, s’affairaient, qui à
les remplir, qui à y mettre des écorces broyées, qui à sortir des peaux pour
les tendre sur des treillis de bois. Une jeune femme, dont les longs cheveux
noir bleuté et les yeux foncés contrastaient avec sa peau ivoirine, parlait
avec autorité à deux hommes. En s’approchant, Hugues de Fer comprit qu’elle
leur reprochait de ne pas être suffisamment exigeants avec les ouvriers. Le
plus jeune, trapu, aux bras nus et aux muscles puissants, se justifiait en
disant que s’il était trop dur, ils partiraient chez d’autres tanneurs, car le
travail ne manquait pas. L’autre plus âgé, avec un visage ridé et parcheminé,
approuvait en hochant de la tête.
    Elle interrompit la discussion en découvrant le
viguier.
    — Constance Mont Laurier ? lui demanda
Fer d’un ton égal.
    — Oui-da, vous êtes notre seigneur viguier…
Je vous ai vu à la messe… Vous me cherchiez ? demanda-t-elle, étonnée que
quelqu’un d’aussi important soit venu jusque-là.
    — Pouvons-nous parler ?
    En même temps, il descendit de sa monture,
laissant la longe à l’homme âgé.
    — Étienne, occupe-toi des cuves, qu’ils ne
mettent pas trop de chaux, et toi, Aicart, vérifie tous les ballots qui
partiront demain… Viens me voir après. Ma maison est là, poursuivit-elle à
l’intention du

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