Marseille, 1198
une haute et large enceinte qui entourait
à la fois la ville vicomtale où se trouvait le port, et la ville haute soumise
à l’autorité de l’évêque. Toutes sortes de constructions s’y adossaient :
des maisons érigées sur des arcades en plein cintre, des tours de défense, et
surtout des entrepôts aux grandes ouvertures protégées par des grilles qui les
faisaient ressembler à des grottes ; c’était d’ailleurs le nom qu’on leur
donnait. La nuit, ces magasins solidement fermés étaient surveillés par des
sergents et des archers. Les fabricants de savon, une industrie qui, selon
Pline, avait été créée à Marseille, y entreposaient leurs produits avant qu’ils
ne partent en Orient ; les tanneurs y rangeaient les cuirs préparés dans
les tanneries pour qu’ils soient embarqués vers l’Espagne ou l’Italie, et les
juifs, qui possédaient le privilège de la teinture, y laissaient les draps
colorés qu’ils vendaient autour de la Méditerranée. Mais ces magasins servaient
surtout à entreposer papyrus d’Égypte, poivre, safran, cannelle et sucre, armes
de Damas, cuirs de Cordoue, vins de Palestine, miroirs de Byzance, fourrures du
Levant et soieries de Perse, c’est-à-dire toutes ces marchandises raffinées qui
débarquaient à Marseille avant de partir vers le nord de l’Europe.
Hugues pénétra dans un étroit couloir voûté, barré
de grilles et de portes cloutées. Ce tunnel sous la muraille permettait un
passage rapide vers le port. Large à peine d’une demi-canne [9] , une seule personne
pouvait y marcher de front et les archères installées tout au long auraient
permis d’exterminer ceux qui seraient entrés de force.
Il déboucha sur le rivage qui s’arrêtait à
quelques toises des murailles. Tout au long, des quais de bois, construits sur
des poteaux, facilitaient le débarquement des bateaux. Ne subsistait de
l’antique port grec qu’une petite portion en pierre servant d’appui à des
pontons reposant sur des pieux et se prolongeant profondément dans la rade.
Malgré l’heure matinale, l’endroit était envahi de
négociants de toutes origines surveillés par des arbalétriers vigilants. Tous
les navires étaient acceptés à Marseille pour autant qu’ils acquittent les
taxes exigées et qu’ils n’aient pas de maladie à bord. La rade était donc
encombrée de gabares, de galiotes, de polacres, de barquettes, de felouques et
même de deux grosses nefs d’où débarquaient des croisés rentrant de Palestine.
Les coques et les voiles étaient multicolores. Le bleu dominait chez les
navires marseillais, ceux des Maures ou des Sarrasins étaient souvent verts
tandis que les Génois préféraient le rouge.
Toujours précédé de son esclave qui lui ouvrait un
chemin au milieu des ballots, des paquets, des cages et des animaux, Hugues de
Fer s’approcha de la rive et balaya le port des yeux. En ce matin d’avril, il
espérait voir arriver une de ses galères, partie pour le Levant deux mois plus
tôt. Mais elle n’était pas là.
Contrarié et déçu, il fit quelques pas au milieu
de la foule. Aux vêtements des négociants, des capitaines et des marins, il
pouvait reconnaître les Lombards, les Syriens, les Maures, les Grecs, les
Catalans, les Anglais, les Pisans ou les Génois. Il y avait des robes longues,
des tuniques et des grègues, des sayons de gros drap, des capuchons et des
chaperons, tous de couleurs différentes. Peu étaient armés, sinon d’un simple
coutelas, car les armes étaient interdites aux étrangers, sauf aux chevaliers.
Le bruit était infernal. Non seulement on déchargeait et on embarquait hommes,
animaux et marchandises mais on faisait aussi des affaires, on marchandait,
souvent en criant et en s’injuriant, même si ce n’était que comédie. Les
premières ventes, les plus intéressantes, se faisaient à cette heure, car
beaucoup de capitaines étaient pressés de repartir au plus vite avant que leur
équipage ne les abandonne.
En circulant, le viguier prêtait l’oreille. Il
comprenait les dialectes italiens et catalans et parlait bien l’arabe depuis
son séjour dans les prisons de Damas. Le port était une exceptionnelle source
d’informations sur ce qui se passait autour de la Méditerranée.
Il se rapprocha des commis d’écriture qui
encaissaient les taxes sur les marchandises. Comme on le connaissait, on
s’écartait devant lui et il apprécia que personne ne se plaigne, cela
signifiait que chacun était
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