Marseille, 1198
elle soupira de soulagement. Elle
venait de les conduire où elle voulait en attirant leur intérêt. Son frère
était resté silencieux et elle était parvenue à ne rien révéler d’important.
Quant à la suite de ce qu’elle allait dire, ils l’apprendraient assez vite.
— Oui, monseigneur. Le vicomte Roncelin a
disparu.
— Quoi ?
— Nous venons de l’apprendre du viguier. Il
aurait été enlevé.
Le silence tomba. L’évêque regarda le juge les
yeux exorbités, tandis que Castellaire paraissait effaré.
— Qui aurait enlevé le vicomte ?
demanda-t-il.
— On nous a parlé d’un seigneur des Baux.
L’évêque s’était ressaisi. Cette histoire n’avait
aucun sens, cependant il attendait hier Roncelin… et il n’était pas venu.
— Si vous mentez…, menaça-t-il.
— Pourquoi mentirions-nous ? Vous allez
l’apprendre bientôt, fit-elle en haussant imperceptiblement les épaules.
— Admettons ! Mais pourquoi venir me
voir ? demanda le juge.
— Nous ne savons que faire, expliqua Anna
Maria, en écartant les mains… À part revenir à Rome. Et le camerarius nous avait conseillé de vous demander conseil en cas de difficulté…
L’évêque se tourna vers Castellaire, lui lançant
un regard interrogateur sans cacher son mécontentement.
— Je connais effectivement le camerarius ,
dit Castellaire. Mais il ne peut s’agir que d’une affaire de peu d’intérêt, et
sans doute a-t-il jugé qu’il était inutile de vous déranger, monseigneur.
— Que deviez-vous dire à Roncelin ?
demanda à nouveau l’évêque.
— Nous avons juré de n’en parler à personne.
Vous pouvez nous faire donner la question, mais nous ne révélerons rien.
Elle parlait d’une voix d’autant plus assurée
qu’elle était désormais certaine qu’on ne les emprisonnerait pas. L’évêque
paraissait convaincu qu’ils venaient de Rome, et il n’allait pas emprisonner ou
torturer des émissaires du pape.
— Je ne vois pas en quoi je peux vous aider,
laissa alors tomber Rainier en faisant un geste pour qu’ils se retirent.
— Le viguier nous a demandé d’aller au château
des Baux tenter de vérifier si Roncelin est prisonnier, lâcha Anna Maria.
Devons-nous le faire ?
— Donc le viguier n’est pas certain que
Roncelin soit prisonnier ?
— Je vous ai dit tout ce que nous savons,
monseigneur.
Le silence se fit une nouvelle fois.
Rainier avait gravi tous les échelons
ecclésiastiques : prêtre, chanoine, prieur et maintenant évêque. Il était
loin d’être sot et connaissait parfaitement la situation à Marseille. Il savait
Roncelin endetté, il connaissait le précédent du père d’Alice qui avait mis ses
droits féodaux en gage. Il devinait que, d’une manière ou d’une autre, le
nouveau pape, qui possédait une immense fortune, voulait acheter les droits du
vicomte. C’était une occasion unique de réunifier Marseille et d’en faire une
ville ecclésiastique. Comme il était l’évêque, lui, Rainier, en serait le
maître. Il devait donc protéger et aider ces deux-là.
Le juge ecclésiastique était parvenu aux mêmes
conclusions.
— Vous devez accepter la proposition du
viguier, décida l’évêque.
— Nous risquons gros, monseigneur, intervint
pour la première fois Bartolomeo, les larmes aux yeux. Ce n’est pas ce que le
Saint-Père nous a demandé. Si on nous prend, nous serons pendus !
— Pourquoi vous pendrait-on ? s’enquit
le juge avec un sourire rassurant. Vous êtes des jongleurs ! Faites votre
numéro, et laissez traîner vos oreilles. Tout ce que vous apprendrez sera utile
au viguier.
— Nous n’avons pas les moyens de faire ce
voyage, annonça sa sœur, plus terre-à-terre. Nous sommes arrivés en barque,
sans bagages.
— Je suppose que le viguier s’occupera de
tout. Mais vous avez raison, je ferai porter à votre auberge dix sous d’or. En
échange, vous reviendrez nous dire ce que vous aurez appris, et surtout ce que
Hugues de Fer aura décidé.
Ainsi nous espionnerons tout le monde ! se
dit Anna Maria avec cynisme.
L’évêque fit tinter une clochette. Un clerc entra.
— Frère Benoît, ces jeunes gens vont vous
dire dans quelle auberge ils logent.
Il tendit sa main et ils s’approchèrent pour la
baiser, puis ils sortirent à reculons.
— Qu’en pensez-vous, mon fils ? demanda
l’évêque au juge quand ils furent seuls.
— Je crois que notre nouveau pape a pris la
mesure de
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