Marseille, 1198
bonnet !
— Ils auraient pu discuter, or ils ont
facilement accepté… comme si cela leur convenait de revenir.
Fer ne répondit pas. Il n’avait pas envie de
penser à ce nouveau problème. Ibn Rushd se posait toujours trop de questions et
pour l’instant il avait d’autres préoccupations : sa galère, Ansaldi, sa
filleule et surtout : Roncelin.
Le silence s’installa, ponctué par le crépitement
du feu dans la cheminée. Le viguier ferma les yeux un moment, réfléchissant à
ce qu’il dirait à Alice.
— Après ton départ au conseil, dit soudain
l’ancien cadi, Samuel Botin est resté un moment à parler avec moi. Il m’a dit
que Roncelin était ruiné, que de toutes parts ses créanciers le harcelaient,
aussi je me demande s’il n’aurait pas disparu volontairement.
Fer écarquilla les yeux.
— Je ne comprends pas, dit-il.
— Et si c’était lui qui avait écrit à Hugues
des Baux pour lui annoncer le jour où il serait à sa maison de Porte Galle.
— Pourquoi aurait-il fait ça ?
— Pour faire croire qu’il avait été contraint
de quitter Marseille et décharger sa responsabilité.
Peut-être y a-t-il un accord entre lui et Hugues
des Baux afin qu’il lui cède sa part de la vicomté.
— Et Madeleine, il aurait voulu sa
mort ?
— Les choses ne se sont peut-être pas
déroulées comme il le souhaitait.
— Madeleine aurait donc bien déchiré l’étoffe
qu’elle avait à la main. Cette hypothèse infirme celle que tu suggérais jusqu’à
présent.
— Pas forcément. Roncelin voulait peut-être
que l’on sache qu’il était contraint d’obéir à Hugues des Baux.
Fer fit la moue en secouant la tête.
— C’est encore plus retors que d’imaginer
Constance coupable. Je connais Roncelin, il est incapable d’une telle manœuvre.
— Quelqu’un a prévenu Hugues des Baux au
moins trois jours avant, et Roncelin était bien endetté, alors pourquoi pas
lui ?
— Il y a tellement d’autres explications
auxquelles nous n’avons pas songé ! Attendons que les jongleurs
reviennent.
Le pont-levis baissé, la troupe de cavaliers entra
dans la première cour par l’étroit raidillon. Pierre descendit de son cheval
pour s’occuper du prisonnier, tandis que Rostang de Castillon s’adressait à
Arsac, un des quatre chevaliers du château, cousin éloigné du seigneur des
Baux.
— Comment va mon frère ?
— Un peu mieux… Tout s’est bien passé ?
— Il est là, non ? fanfaronna Castillon,
en montrant l’homme au manteau pastel qui descendait de cheval. Nous avons même
un prisonnier, et un beau butin !
Il désigna l’homme attaché, puis ôta sa barbute
pour la tendre à un valet d’armes. Rostang de Castillon était un homme robuste,
large d’épaules, à peine dans la trentaine mais avec déjà un bel embonpoint.
Son crâne presque rasé, son nez busqué et son visage anguleux aux yeux noirs,
profondément enfoncés sous un large front, lui donnaient un aspect à la fois
violent et calculateur.
— Pierre, jette le prisonnier dans un
cachot ! Mon frère l’interrogera plus tard.
Un esclave vint l’aider à descendre, car il
portait un long haubert, particulièrement lourd, ainsi qu’un camail. Au sol, il
se saisit de son épée attachée à la selle et s’approcha de l’homme au manteau
pastel. Celui-ci, plus grand que Castillon, gardait un maintien affecté et
aristocratique. Il serra sa houppelande finement tissée en réprimant un frisson
de froid ou d’inquiétude. Entouré d’une chevelure longue et bouclée, son visage
ovale aux pommettes saillantes, à la bouche gracieuse et à la denture parfaite
en faisait un homme séduisant. Seules ses lèvres pleines, mais amollies,
traduisaient peut-être une nature faible.
— Viens avec moi ! ordonna Castillon en
lui parlant sans ménagement.
Il se dirigea vers une triple arcade et
s’engouffra dans un étroit passage percé dans la roche. L’homme au manteau
pastel le suivit avec une sorte d’indifférence dédaigneuse. Ignorant un
escalier sur leur gauche, ils traversèrent une cave emplie de jarres, creusée
dans la roche et seulement éclairée par un petit flambeau de résine. Ils
poursuivirent jusqu’à une seconde salle, plus vaste, dans laquelle étaient
empilés des coffres de bois et d’osier ainsi que des paillasses. C’étaient les
réserves du château aussi utilisées comme dortoir par des domestiques ou des
esclaves. Deux gros falots contenant de
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