Marseille, 1198
visite de
Hugues de Fer et de son écuyer. Il y avait une foire ce jour-là et la taverne
était pleine. Les affaires avaient été bonnes et les tisserands, drapiers,
marchands d’huile et tanneurs buvaient et chantaient pour fêter leur
prospérité. Prévenu de l’arrivée du viguier par une fille de salle, le
chevalier anglais fit monter les visiteurs dans sa chambre et leur fit servir
le meilleur vin de l’auberge, sans s’interroger sur la façon dont il le
payerait, sa bourse étant de plus en plus plate.
L’écuyer expliqua tout de suite qu’il n’avait pas
retrouvé les voleurs. Avec des archers, ils avaient suivi leurs traces sur la
route d’Aguensi, puis ils semblaient avoir disparu sans être entrés dans la
ville comtale ni dans la ville épiscopale. Pensant qu’ils avaient pu prendre la
voie aurélienne, ils étaient même allés jusqu’à Sallone de Crau sans rien
découvrir. Les trois serviteurs de Locksley semblaient s’être volatilisés, mais
il y avait tant de routes qu’ils auraient pu emprunter ! Peut-être
s’étaient-ils dirigés vers les Alpes ou l’Italie, suggéra-t-il.
Malgré cette fâcheuse nouvelle, Locksley garda une
belle ironie.
— Je suis certain qu’ils sont en route pour
l’Angleterre ou la Normandie. J’ai eu tort de ne pas vous accompagner, car c’est
moi qui ai appris à Cédric à se dissimuler et j’aurais certainement repéré ses
traces.
Fer prit la réflexion comme un reproche et fronça
les sourcils, mais Locksley l’apaisa d’un geste de la main, comme si cet échec
n’avait aucune importance.
— Je ne blâme personne sinon moi-même, noble
viguier, dit-il dans un sourire. Voyez-vous, ayant été voleur, je connais mille
moyens pour égarer des poursuivants. Cela m’a sauvé plusieurs fois la vie en
Palestine et m’a permis de réussir quelques évasions de compagnons emprisonnés.
Si Cédric a été à bonne école, je ne dois m’en prendre qu’à moi-même.
— Vous ? Un voleur ? se raidit Fer.
— Oui, dans la forêt de Sherwood et autour de
la ville de Nottingham. On me connaissait sous le nom de Robin au Capuchon, le
prince des voleurs.
— Vous m’aviez dit que vous étiez comte de
Huntington, lui reprocha sèchement le viguier.
— Je le suis, rassurez-vous ! répliqua
Locksley, amusé par l’expression ahurie de l’écuyer de Hugues de Fer. Mais ma
vie passée a été si étonnante que si je vous la racontais, vous ne me croiriez
pas !
À l’instant où le Saxon avait parlé d’évasion, la
phrase qu’avait prononcée Botin quelques jours plus tôt : « Imaginons
qu’il soit prisonnier… Pourquoi ne pas le faire évader ? » avait
surgi dans la mémoire de Hugues de Fer.
— Vous avez réussi des évasions ?
— Plusieurs. L’une des premières a été la
libération du frère de celle qui est devenue ma femme, Marianne, paix à son
âme.
— Vous avez perdu votre épouse ?
— Une fièvre pernicieuse, répliqua sombrement
Locksley. C’est la raison pour laquelle je me suis croisé.
— Viendriez-vous souper ce soir chez moi,
seigneur comte ? J’aimerais mieux vous connaître et je suis certain que
votre vie nous passionnera.
C’est ainsi que Robert de Locksley raconta à la
table du viguier l’histoire de son père, dépouillé de son héritage par les
infâmes calculs d’un oncle félon. Comment il était né dans une modeste
chaumière de la forêt de Sherwood ; comment il avait pris la défense des
pauvres gens contre le seigneur de Nottingham ; comment il était devenu
Robin Hood, Robin au Capuchon, et comment il avait réuni autour de lui une
bande de joyaux yeomen.
Saxon, il s’opposait aussi à la domination
normande jusqu’au jour où il avait rencontré Richard, son roi, qui avait
accordé une grâce pleine et entière à lui et à ses hommes. Ce roi qu’il aimait
tendrement bien qu’il soit issu de la famille de Guillaume le Normand [35] .
Sur les questions insistantes de Fer, le Saxon
raconta quelques anecdotes du temps où, voleur, il conduisait des coups de main
contre le shérif de Nottingham ainsi que quelques entreprises réussies durant
la croisade.
À la fin du souper, Locksley prit une nouvelle
coupe de vin qu’un serviteur venait de lui remplir. L’avalant d’un trait, il
lança :
— Vive Richard Cœur de Lion ! Je lui
appartiens corps et âme !
Après un instant de silence, grisé par le vin
qu’il avait bu, il ajouta avec tristesse.
— Je
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