Marseille, 1198
quête,
mais n’a presque rien reçu, car personne ne voulait donner à un sorcier. Avec
mes servantes, je suis vite partie, terrorisée. Nous nous sommes juste arrêtées
à Notre-Dame des Accoules prier le Seigneur de nous pardonner pour avoir écouté
un envoyé du démon.
— Gratien, tu t’es renseigné sur cet
homme ? demanda Fer au garde qui était avec sa femme.
Il ne supportait pas que des charlatans fassent
peur à la population crédule ou troublent l’ordre établi. Il allait arrêter ce
bonimenteur et le jeter hors de la ville… Et s’il découvrait que c’était
vraiment un sorcier, il le punirait.
— J’ai essayé, seigneur, je suis resté pour
l’interroger mais les gardes de l’évêché sont arrivés. Un religieux avait dû
les prévenir, et ils l’ont emmené.
— Ils n’étaient pas dans leur
juridiction ! protesta Fer un ton plus haut.
— C’est ce que j’ai dit, seigneur, mais ils
m’ont répondu qu’il y avait sorcellerie, et que cela concernait le juge
ecclésiastique.
— J’irai le voir demain. Si c’est vraiment un
sorcier, il sera brûlé devant les Accoules.
À la fin du souper, Ibn Rushd resta avec son ami.
L’homme à la poudre noire l’intriguait.
— J’ai entendu parler de cette poudre,
Hugues, elle viendrait de Chine et serait capable en brûlant de fondre les
métaux et de briser des murailles.
— Cet homme ne serait pas un sorcier ?
— Peut-être l’est-il, mais je ne crois pas
que le Chaytan laisse voir si facilement l’enfer aux badauds d’un marché !
Si ce saltimbanque connaît le secret de cette poudre, il pourrait nous être
utile.
— Comment cela ?
— Elle pourrait percer une muraille du
château des Baux, nous permettre de sortir en brisant des portes, ou simplement
effrayer les gens d’armes.
— Cela m’apparaît bien dangereux.
— Mon ami, ce que nous allons faire l’est
déjà tellement ! Essayez d’obtenir du juge ecclésiastique qu’il vous
remette cet homme.
— Il se nomme Nedjm Arslan, c’est un Perse de
Damas, un sorcier, et je vais le juger avant de le faire brûler, expliqua
Michel de Castellaire. L’Église ne peut tolérer qu’on en appelle au démon en
pleine rue.
— Et s’il n’était qu’un bateleur ?
Ils avaient été reçus par le juge, dans sa maison
qui jouxtait la tour de l’évêché. La prison ecclésiastique était mitoyenne.
L’aube venait de naître et, dans deux heures, Fer avait une réunion avec le
conseil de la ville.
— Mon ami Ibn Rushd pense que ce Perse
utilise une poudre qui provoque des flammes, comme le bois ou le charbon dans
une cheminée.
— Vous vous gaussez ! J’ai des
témoignages ! Cet homme est une créature démoniale qui a ouvert la porte
de l’enfer. Je suis juge par autorité apostolique. Je ne laisserai pas impunie
la rébellion des enfants des ténèbres qui méprisent la miséricorde de Dieu, la
foi catholique, la puissance du pape et de l’Église romaine.
Il se signa.
— J’ai consulté hier plusieurs prélats,
théologiens et docteurs de l’Église. Ils sont convaincus de son activité
satanique. N’a-t-il pas dit qu’il parlait aux démons ? Il sera
brûlé !
— Il a été arrêté dans la ville basse. Ce
n’est pas la juridiction de l’évêché, répliqua le viguier.
— Pourrions-nous le voir ? proposa Ibn
Rushd.
Le juge devina qu’il devait se montrer souple.
— Je peux vous conduire à son cachot.
Ibn Rushd jeta un bref regard à Fer pour montrer
qu’il s’en contentait.
Ils sortirent en passant par un jardin. Au fond,
une poterne en arc de cintre conduisait à un chemin dallé qui longeait le
palais épiscopal. Ils arrivèrent devant une lourde grille derrière laquelle un
garde et un geôlier jouaient aux osselets sur un banc. Ils se levèrent en
entendant les visiteurs.
Michel de Castellaire se fit ouvrir. Ils entrèrent
dans une petite salle voûtée au fond de laquelle descendait un escalier creusé
dans le rocher.
— Il est en bas, enchaîné avec d’autres
prisonniers. Vous voulez descendre ou je le fais chercher ?
— Faites-le chercher, ordonna Fer.
Le geôlier et le garde descendirent. On entendit
des cliquetis de verrous, de chaînes, puis ils remontèrent au bout d’un moment
accompagnés d’un homme moins grand que Fer ne l’avait imaginé, âgé d’une
trentaine d’années. Vêtu d’une robe de laine grège, salie de sang et de boue,
la barbe couverte de croûtes de
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