Marseille, 1198
Guilhem d’Ussel s’arrêtèrent.
On les entoura. Les gens d’armes portaient
hoqueton de cuir ou gambisons à corselets d’écailles, certains avec une comète
à seize rayons brodée sur la cotte de drap qui les couvrait. Leur crâne était
protégé de calottes de fer pointues ou arrondies couvrant un capuchon de maille
descendant aux épaules.
L’armement était disparate. Plusieurs tenaient une
lance, d’autres de lourdes arbalètes. Tous avaient à la selle masse, fléau,
hache à deux tranchants et rondaches [39] de bois couvertes de lames de
métal et de clous.
Un chevalier les accompagnait. En lourd haubert
descendant au bas des cuisses, la tête entièrement dissimulée par un heaume à
nasal surmonté d’un cimier à tête de cerf, il attendait en arrière. Ce fut un
sergent d’armes qui s’adressa à eux :
— Où allez-vous ?
— Au château des Baux, seigneur, répondit
Anna Maria. Nous sommes jongleurs. Nous sommes déjà venus il y a quelques
jours.
Ce fut dit en utilisant quelques mots de latin et
en forçant sur l’accent du Latium. Durant leur précédent séjour, elle avait
fait croire aux gens des Baux qu’elle et son frère parlaient mal, et
comprenaient encore moins, la langue occitane.
Le chevalier intervint.
— Je me souviens de vous, mais vous n’étiez
que deux.
— Je me nomme Guilhem d’Ussel, seigneur, et
je suis troubadour. J’ai rencontré mes amis en chemin et comme ils n’ont pas
trouvé de nouvel engagement, nous nous proposions d’amuser les soirées du
seigneur des Baux pour quelques jours.
Le sergent d’armes, qui portait l’écu triangulaire
de son seigneur, en bois couvert de cuir bouilli, se tourna vers lui pour
recevoir ses ordres. Guilhem se tenait sur ses gardes. Il ne doutait pas que si
le chevalier leur disait de les massacrer, ils obéiraient. Ce serait alors une
rude partie, car ceux-là ne ressemblaient pas aux ribauds de Castillon.
— Pourquoi portez-vous une épée ?
demanda le chevalier avec méfiance.
— Les routes sont peu sûres, seigneur, et
j’arrive d’Aquitaine.
— Je ne vous crois pas, décida le chevalier.
— Puis-je sortir ma vielle, seigneur ?
Sans attendre de réponse, il détacha la boîte dans
son dos et saisit l’instrument de musique. En souriant, il fit tourner deux
fois la roue et commença d’une jolie voix grave :
En femme ri ai point tricherie,
Mais loyauté sans vilenie…
Le sergent sourit, imité par les valets d’armes et
l’écuyer.
— Venez avec nous, le seigneur
décidera ! ordonna finalement le chevalier.
Encadrés par les hommes d’armes, ils reprirent le
chemin bordé de cistes et de romarins. Le chevalier s’était placé près d’Anna
Maria et lui posait des questions auxquelles elle répondait vaguement, tout en
les assortissant d’un sourire, comme si elle ne les comprenait pas.
Enfin le plateau rocheux apparut. C’était une
sorte de table entourée de falaises, et au bord poussaient des chênes et des
pins rabougris. À travers cette végétation, Guilhem distingua un pan de
muraille et l’extrémité d’une tour carrée entourée de hourds ainsi que la
grande bannière écarlate avec l’étoile des Baux flottant au bout d’un mât. Le
sentier qui montait vers la plate-forme rocheuse était escarpé. Ils passèrent
un portique fortifié non gardé avant de suivre un long passage protégé par une
double enceinte à l’intérieur de laquelle on ne pouvait avancer qu’à deux de
front. À son extrémité se dressait une porte percée dans une muraille appuyée
aux falaises. Du haut des merlons, deux gardes les observaient et les vantaux
de bois s’écartèrent à leur approche.
Ensuite, le chemin monta à nouveau durant une
vingtaine de cannes. Guilhem balayait les alentours du regard. Il n’apercevait
aucun autre mur d’enceinte. La falaise, raide et vertigineuse, était une
défense naturelle. Ils débouchèrent enfin sur un grand plateau rocailleux
dominé par la forteresse. C’était une haute muraille bordée de hourds de bois
dont dépassait un éperon rocheux sur lequel s’appuyait un corps de logis aux
minuscules ouvertures. Au sommet du rocher se dressait une tour de garde sur
laquelle flottait la bannière des Baux. Une plus grosse tour carrée s’élevait
vers la gauche.
Le chemin serpentait dans la rocaille. Le plateau
paraissait immense avec quelques masures de pierre construites à flanc de
roche, et, sur leur droite, une
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