Marseille, 1198
venin.
— Je lui administre une thériaque que je
mélange moi-même en suivant les préceptes de Galien, intervint le médecin.
La thériaque était une préparation à base de
poisons, en particulier de chair de vipère, d’opium, de minéraux, de plantes et
de sang d’animaux mélangés avec du miel. C’était une panacée contre toutes les
maladies, mais principalement contre les poisons et les morsures. La thériaque
la plus chère venait de Venise.
— Contrairement à Galien, je crois que
l’emploi répétitif de la thériaque est mauvais, répliqua Ibn Rushd. Une
alimentation saine et une eau propre sont les seuls garants contre la maladie.
Les drogues sont des matières étrangères au corps qui nuisent au fonctionnement
du foie et des reins. Vous arrêterez donc de lui en donner.
— Doit-il continuer à boire du lait de
chèvre ?
Le médecin arabe resta hésitant un moment avant de
demander :
— Avez-vous une ferme avec une vache ?
— Oui.
— Vous irez vous-même chercher le lait de
cette vache, et vous assisterez à la traite. Vous prendrez les mêmes
précautions que pour la chèvre. Vous donnerez à votre époux le pain que vous
cuisez ici, mais vous irez vous-même le choisir parmi ceux qui sortent du four.
— Mais comment les choisir ?
demanda-t-elle.
— Vous prendrez celui qui vous plaira. Ce
sera suffisant. De la même façon, vous choisirez vous-même un lapin ou un
pigeon rôti à la cuisine.
Il balaya la pièce des yeux. Outre le grand lit
d’angle aux rideaux cramoisis, il y avait deux coffres, un banc, une table, un
dressoir et des escabelles. Il y avait surtout trois portes.
— Votre chambre est à cet étage…
— C’est celle-ci, dit-elle en désignant une
porte.
— Vous y conserverez ces aliments, personne
n’y entrera et votre époux mangera avec vous, dans cette pièce. Je reviendrai
demain. Nous verrons ensuite si son état s’améliore.
— C’est donc un empoisonnement ? demanda
Hugues.
— Je ne sais pas, faisons d’abord cette
vérification, voulez-vous ? Malheureusement, je crains que vous n’ayez à
m’accorder l’hospitalité durant quelques jours.
— Ce sera avec plaisir, grimaça Hugues.
— Quelle eau boit-il ?
— Celle de l’Arcoule.
— Vous irez aussi la puiser vous-même et la
garderez dans votre chambre.
— Du lait ! De l’eau ! Je ne
connaîtrai donc plus jamais le goût du vin ? ironisa tristement Hugues des
Baux.
Ibn Rushd n’hésita guère. Certes, le vin pouvait
être empoisonné, mais il avait observé qu’à table tout le monde était servi à
partir des mêmes cruches. Empoisonner le vin aurait tué plusieurs
personnes !
— Du moment que vous partagez votre vin avec
vos voisins, vous pouvez en boire, fit-il avec un sourire. Cela devrait au
contraire vous faire du bien. Mais que désormais personne n’entre dans cette
pièce, sauf vous, et moi.
— Et Monteil, décida Hugues.
— Personne ! répliqua Ibn Rushd. Où vont
ces autres portes ?
— Celle-ci (Baralle désigna celle en face de
sa chambre) donne dans une salle rarement utilisée, et cette autre (elle se
situait à côté de la fenêtre ogivale ouvrant sur la cour) conduit aux logis de
nos serviteurs et des chevaliers, mais elle est fermée au verrou.
Rassuré, Ibn Rushd salua le médecin et le
chapelain, s’inclina respectueusement devant Baralle et ajouta à l’intention de
Hugues des Baux :
— Je vous souhaite un bon repos, seigneur.
Il retrouva Arnaud de Coutignac dans la grande
salle. Sans poser de questions, le chevalier le conduisit dans leur chambre où
se trouvaient déjà Locksley et Nedjm le Perse. C’était une petite pièce au
deuxième étage du logis des chevaliers meublée d’un huchier et d’un grand lit à
custode où ils dormiraient tous les trois. En laissant Ibn Rushd avec ses
compagnons, Coutignac leur dit qu’ils auraient peut-être pour voisin Rostang de
Castillon, le demi-frère du seigneur qui logeait là quand il venait au château.
— Hugues des Baux est sans doute empoisonné,
annonça Ibn Rushd à voix basse quand le chevalier fut parti. Je peux peut-être
le sauver, mais est-ce nécessaire ?
Le château était petit, aussi, le lendemain,
Robert de Locksley rencontra facilement Anna Maria. Il avait revêtu son épais
manteau de voyage sur une courte tunique de laine de couleur verte, serrée à la
taille, avec des trousses vertes. À sa ceinture pendait sa lourde épée
Weitere Kostenlose Bücher