Mathieu et l'affaire Aurore
barre des témoins. Surtout Marie-Jeanne. Comme elle est la plus âgée des trois, non seulement son témoignage revêtira-t-il plus de poids à la cour, mais son exemple pourra aussi entraîner ses frères à dire la vérité.
— La préparer ?
— L’aider à mettre de l’ordre dans ses idées, à formuler à haute voix ce dont elle a été témoin. Le plus difficile sera de deviner comment l’avocat de ses parents cherchera à la troubler, à l’amener à se contredire. Son objectif sera de la discréditer entièrement.
— Pour ajouter l’horreur à l’horreur.
L’étudiant hocha la tête, partageant lui aussi ce constat.
— Il me faudra l’engager dans une répétition de son récit, en quelque sorte. Pour cela, je devrai la rencontrer seul à seul.
— Avec une si petite fille, ce ne serait pas convenable.
Une religieuse sera présente.
— Elle n’osera pas parler devant un témoin. Puis, je ne veux pas risquer que des rumeurs se répandent dans la population.
— Si je demande la discrétion à l’une de mes sœurs...
Elle s’arrêta. Des secrets de ce genre devaient être partagés. La santé mentale de leurs détenteurs l’exigeait. Mathieu prit sur lui de proposer un scénario :
— Vous avez un beau jardin. Je pourrais m’asseoir sur un banc avec elle, l’une de vos sœurs pourra nous surveiller tout en demeurant hors de portée de voix.
Cela parut un compromis acceptable à la religieuse. Elle donna son assentiment d’un signe de tête.
— J’aimerais discuter un peu avec elle tout de suite.
— Nous sommes Vendredi saint. Une messe sera célébrée à trois heures, d’ici là nous entendons voir tous les enfants se confesser, y compris les Gagnon. A la messe, tous communieront : ce sera comme un bouquet de roses pour Notre-Seigneur. Cela les aidera certainement à faire face à la suite des événements.
Il n’existait aucune réponse à ce genre d’argument. Se rebeller ne servirait à rien.
— Seulement quelques minutes alors, suggéra Mathieu, le temps de m’entendre avec elle pour une rencontre demain, et de lui poser quelques questions urgentes.
— Pas plus de vingt minutes. Allons les retrouver.
Les deux hommes suivirent la directrice jusqu’à l’entrée principale. Elle trouva les trois enfants silencieux, assis sur des chaises, leur valise à leurs pieds.
— Je vais vous montrer vos lits, les garçons, commença mère Saint-Emilien. Ensuite, vous rejoindrez vos camarades à la chapelle. Comme nous sommes au dernier jour du carême, il n’y aura pas de dîner aujourd’hui. Nous nous reprendrons tous ce soir.
Peut-être effrayés par cette menace de jeûne, les deux gamins se précipitèrent avec un bel ensemble sur Oréus Mailhot, lui saisirent chacun une main.
— Gardez-nous avec vous, monsieur, pleurnicha Georges.
— Oui, nous voulons retourner avec vous à Sainte-Philomène, vivre en haut du magasin, enchaîna Gérard.
Nous pouvons travailler...
Comme demande d’adoption, on ne pouvait faire plus explicite.
— Je ne peux pas, voyons. Le procès doit commencer mardi, vous irez témoigner. Puis, ici, vous recommencerez à aller à l’école, avec des camarades de votre âge.
Mathieu comprenait combien ce nouvel univers leur paraissait mystérieux, menaçant même. Surtout, le marchand général était passé deux fois par semaine dans la maison du septième rang, les poches bourrées de bonbons. Attentif à leur sécurité, il prenait des allures de père Noël. Ce genre d’attention lui valait cette curieuse requête, aujourd’hui.
— Monsieur Mailhot a raison. Venez avec moi.
La religieuse s’exprimait d’une voix douce, les garçons abandonnèrent leur résistance. Elle ajouta à l’intention de Marie-Jeanne:
— Monsieur Picard veut te parler un peu. Je reviendrai te chercher tout à l’heure.
La directrice, obsédée par les convenances, précisa à l’intention de la portière :
— Nous n’attendons personne d’autre aujourd’hui. Vous les accompagnerez dans le jardin, tout en vous tenant à l’écart.
Arrivé au pied de l’escalier, Oréus Mailhot commença.
— Je vais vous quitter maintenant. Mon train partira bientôt.
— Ne devrez-vous pas témoigner aussi ? demanda Mathieu.
— Lauréat Couture ne m’a remis aucun subpæna. Je n’en suis pas déçu, croyez-moi.
Le marchand tendit la main. Peut-être ne se reverraient-ils plus jamais.
— Je vous remercie pour votre accueil, cet hiver, et aussi
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