Mathieu et l'affaire Aurore
trottoir, ils repérèrent une Ford à peu de distance. Les trois enfants s’entassèrent sur la banquette arrière.
— Nous ne logerons pas tous les deux à l’avant, remarqua le juge de paix.
— Prenez place près du chauffeur, je me tiendrai sur le marchepied.
La posture se révélait moins dangereuse qu’il ne semblait. Une planche de bois parcourait tout le côté du véhicule et la galerie sur le
toit
permettait
de
se
tenir
fermement.
Surtout, le trajet prendrait tout au plus quinze minutes.
L’hospice Saint-Joseph-de-la-Délivrance présentait l’allure habituelle des édifices conventuels, avec son clocheton sur le toit en tôle. Le corps de logis principal était Manque de deux ailes. L’établissement visait des fins plus ou moins complémentaires: l’accueil des prêtres âgés ou infirmes, devenus incapables d’exercer leur sacerdoce, et celui d’orphelins des deux sexes. De plus, des jeunes filles de Lévis pouvaient y poursuivre le cours d’études primaires approuvé par le département de l’instruction publique.
Mathieu paya la course, cela lui semblait être la moindre des choses. Un escalier d’une douzaine de marches conduisait à la porte d’entrée principale.
— Messieurs, demanda une sœur portière penchée afin de passer la moitié de la tête dans le guichet pour mieux les voir, que voulez-vous ?
— Nous désirons parler à la mère supérieure.
— Je ne sais pas...
— Je suis Oréus Mailhot. Elle nous attend.
Le patronyme lui était familier.
— ... Je vois. Ce sont eux.
La religieuse dévisagea les enfants. Même si, de tous les journaux, L’Action catholique pénétrait seul dans ces murs, la rumeur des procès à venir atteignait ces saintes femmes.
Elle disparut, puis revint un peu plus tard.
— Suivez-moi. Mère Saint-Emilien vous attend.
Depuis sa fondation, cet établissement bénéficiait du travail des sœurs de la Charité. Les visiteurs marchèrent dans un corridor au sol en planches de pin bien polies, rendues brillantes par des centaines de pas quotidiens. Le bureau de la directrice se trouvait au bout, une pièce éclairée par une fenêtre.
— Monsieur Mailhot... commença-t-elle en se levant à demi pour les saluer, et monsieur ?
— Mathieu Picard. Je travaille pour le bureau du procureur général de la province.
Elle enregistra l’information, résolut de le traiter avec certains égards.
— Ma sœur, continua-t-elle à l’intention de la portière, pouvez-vous conduire ces enfants dans la petite pièce située près de votre cellule, le temps de notre discussion? Je m’occuperai d’eux dans une minute.
Les deux garçons et la petite fille refirent le même trajet jusqu’à leur point de départ. La directrice se leva tout à fait en signe de respect, mais elle ne tendit pas la main. Ce contact aurait été déplacé.
— Asseyez-vous.
Elle-même reprit son siège. Mailhot chercha dans la poche intérieure de son veston, posa une enveloppe au milieu du bureau.
— Voilà la somme convenue pour le prochain mois, dit-il.
— Et ensuite ?
— Personne ne sait ce qui arrivera ensuite, ma mère, intervint Mathieu. Il se peut que les parents viennent eux-mêmes les chercher.
La femme se raidit, comme troublée par cette éventualité.
— Dans ce cas, je prierai pour leur condamnation... si Dieu le souhaite, bien sûr, murmura-t-elle.
— Alors, nous serons deux à prier, ajouta Mathieu.
La toile blanche encadrant le visage de la religieuse accentuait la teinte un peu rose de ses joues bien rondes.
Trente ans plus tôt, elle avait dû être jolie.
— D’ici là, ma mère, continua l’étudiant, puis-je compter sur vous pour les tenir à l’œil ? Les prochaines semaines seront terribles. Ils devront témoigner contre leurs propres parents.
— Une situation affreuse, vous avez raison... Bien sûr, je leur apporterai toute l’attention dont ils auront besoin.
L’existence dans ces murs se révélerait ennuyeuse. D’un autre côté, les leçons et les exercices de piété donneraient un sens à leur vie, empêcheraient leur esprit de trop vagabonder.
— Vous serez avertie du moment de leur comparution.
Je m’arrangerai pour qu’un agent de la paix vienne les chercher le matin, pour les reconduire ici le soir.
— Et moi, je les libérerai de leurs classes ces jours-là.
A la fin, la question la plus délicate restait à régler.
— Je devrai revenir afin de les préparer à leur passage à la
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