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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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fréquenté la classe une dizaine de jours...
    Cette version cadrait avec celle de l’institutrice. Elle était arrivée au même total, pour l’année scolaire 1919-1920.
    — Personnellement, madame, si vous oubliez les rumeurs, vous n’avez jamais rien remarqué dans la conduite de cette femme-là pouvant laisser croire qu’elle maltraitait son enfant dans le dessein de la faire mourir ?
    — Votre Honneur, protesta Fitzpatrick en se levant, mon collègue demande au témoin de donner son opinion et non d’énoncer un fait.
    — Je souhaite tout de même entendre la réponse, répondit le juge Pelletier.

    La question, puis tout l’échange précédent, laissait la femme un peu perplexe. Elle commença, un peu hésitante.
    — Je crois qu’elle maltraitait les enfants.
    — Mais vous ne l’avez pas vue faire.
    — Elle ne le cachait pas, elle en parlait.
    L’avocat ne désirait pas reprendre la longue discussion sur les confidences de Marie-Anne Houde.
    — Avez-vous des enfants, madame ?
    — J’ai un garçon de vingt-huit ans.
    — Seulement un ?
    Dans la bouche de ce vieux garçon, le constat sonna comme un reproche. Les curés successifs de la paroisse devaient avoir multiplié les remontrances auprès de cette femme, pour l’inciter à «faire son devoir».
    — Vous l’avez déjà corrigé ?
    — Oui, mais en droit et en raison.
    Dans la bouche de cette dame, l’expression paraissait un peu étrange.
    — L’avez-vous déjà battu avec une hart? insista-t-il.
    — Non.
    — Jamais?
    — Non.
    Elle énonçait là des vérités toutes simples, personne ne pouvait mettre sa parole en doute.
    — Avec quoi le battiez-vous ?
    —
    Avec mes mains. Sur les fesses d’un enfant, c’est assez.
    Une rumeur d’assentiment parcourut la salle. Le vieux garçon parut un peu décontenancé.
    —
    Mais si vous aviez eu une dizaine de tapageurs...
    Cette femme se refusait à participer à la revanche des berceaux.
    Déjà, il avait mis au jour sa condamnation pour vente d’alcool. Sa façon d’élever des enfants ne pouvait faire l’unanimité, croyait-il.
    — A la campagne, continua le plaideur, vous le savez, les gens ne se gênent pas pour donner des coups de hart à un enfant. Et à l’école, il se donne des coups de règle.
    — Les gens se gênent plus que vous croyez. Sur dix, vous n’en avez pas un qui corrige les enfants avec des harts.
    D’une seule traite, elle venait de rassurer toute l’assistance sur les mœurs rurales. Tuer les petits à coups de bâton ne figurait pas dans les traditions des familles paysannes.
    — Il y en a à qui ça fait du bien, s’obstina l’avocat.
    Elle contempla Francœur comme s’il s’agissait d’un demeuré.
    Celui-ci décida d’abandonner un sujet de discussion où il ne l’emporterait
    pas
    sur
    une
    mère,
    même
    d’un
    enfant unique.
    — Selon vous, l’accusée aurait dit qu’elle serait contente si son enfant mourait, sans que personne ne le sache.
    — Elle a dit cela.
    — Elle a nommé Aurore, à ce moment ?
    — Quand elle disait cela, elle parlait d’Aurore.
    L’avocat perdit une autre excellente occasion de se taire.
    — Vous avez compris qu’elle souhaitait qu’Aurore parte sans vraiment le réaliser.
    Au fond, chacun rêvait de partir doucement, sans vraiment en avoir conscience. Souhaiter cela aux autres traduisait une réelle compassion.
    — Non, pas de cette manière-là.
    — Je ne comprends pas.
    — Elle parlait de la mort d’un autre petit enfant d’un an et demi, survenue dans cette maison.
    — Un autre petit enfant ?
    Curieusement, jusque-là personne n’évoquait les précédents.

    Pourtant, Mathieu avait fait le décompte pour son patron : à ce jour, six enfants étaient décédés sous les soins de cette femme. Même dans un environnement difficile, cela faisait beaucoup.
    — Elle a dit « elle aussi », en parlant d’Aurore. Elle souhaitait la voir mourir discrètement, comme le petit garçon.
    — Vous aimez mieux prendre ça comme ça ?
    — Nous sommes voisins, nous connaissions ce premier décès, nous la voyions agir avec les petits. Alors nous l’avons pris de cette façon.
    Les jurés présentaient tout d’un coup une mine intéressée, tellement que Francœur se tourna vers le magistrat pour dire :
    — Je n’ai plus de questions, Votre Honneur.
    — Monsieur le substitut du procureur général ?
    — Nous
    entendrons
    maintenant
    mademoiselle
    Marguerite Lebœuf.

    *****
    Exilda Lemay

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