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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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répréhensibles entraînaient ce genre d’ostracisme. Cela ne surprendrait aucun membre du jury. En insistant sur le sujet, l’avocat poursuivait une tout autre fin.
    — Vous dites que vous l’aimez. N’avez-vous pas exprimé une opinion bien sévère sur l’accusée, encore tout dernièrement ?
    —Je n’ai pas dit que je l’aimais ni que je la haïssais. Je n’y allais pas, tout simplement.
    — Madame, n’avez-vous pas exprimé votre opinion, en venant rendre témoignage ici, sur le compte de l’accusée ?
    — Je ne comprends pas où vous voulez en venir.
    Le juge Louis-Philippe Pelletier voyait les jurés peiner aussi pour suivre la discussion.
    — Monsieur Francœur veut savoir ce que vous pensez de l’accusée, précisa-t-il en se penchant en direction de la femme.
    L’avocat reprit à son tour, cette fois sans tourner autour du pot.
    — N’avez-vous pas dit, dans le train en venant ici, que cette garce devait être pendue ?
    — Non, je n’ai pas parlé de garce ou de pendaison. J’ai dit qu’elle devait être punie selon son mérite.
    Dans la salle, plusieurs personnes devaient pourtant utiliser ces mots. La femme s’en défendait maintenant avec énergie.
    — Il y avait des témoins de la scène, insista Francœur.
    — Elle doit recevoir la punition méritée.
    — Vous n’avez jamais parlé de pendaison ou de corde ?
    «La salope d’Albertine Gagnon», se dit Exilda. Elle seule pouvait l’avoir « rapportée ». La division à Sainte-Philomène perdurerait pendant des décennies, à la suite de cette affaire.
    — Des gens prétendent... bafouilla la femme. Pas moi, mais des gens disent qu’elle mérite de pâtir un bon moment.
    — Si, en vertu de la sentence de la justice, elle est pendue, ça vous fera grand plaisir ?
    — Non, cela me fera beaucoup de peine parce que, pour un voisin, c’est pas mal mortifiant.

    Par un ricanement unanime, la salle exprima son grand scepticisme à l’égard de cette conception des relations de voisinage.
    — Nous verrons bien si cela vous fera beaucoup de peine.
    A la table des avocats de la Couronne, Fitzpatrick souffla à ses deux compagnons :
    — Vient-il d’admettre que sa cliente sera pendue ?
    Francœur lui-même sembla saisir l’impair. Il revint sur les rencontres du témoin avec
    Marie-Anne Houde, les
    circonstances où celle-ci faisait allusion aux châtiments corporels infligés aux enfants.
    — Que disait-elle à leur sujet?
    — Qu’ils étaient durs à corriger.
    — Parlait-elle seulement d’Aurore ou de tous ses enfants ?
    — De Marie-Jeanne aussi.
    L’avocat de la défense feignit la surprise.
    — De Marie-Jeanne aussi?
    — Une fois, elle m’a dit: «Marie-Jeanne, elle prend les champs, elle se sauve, il faut courir après. Aurore ne se sauve pas, on peut la battre. »
    Mathieu eut une bouffée d’affection pour sa jeune amie.
    Dans cet enfer, elle avait gardé le réflexe de se protéger.
    — Quand a-t-elle dit ça ?
    — Pendant l’hiver et l’été dernier.
    — Vous n’en avez jamais parlé auparavant.
    La remarque contenait un reproche explicite. Exilda le dévisagea, puis glissa :
    — Il y a bien des mots que j’ai oubliés, que je n’ai pas dits.
    — On va vous les faire dire !

Elle conserva son air de défi en rétorquant :

    — Vous n’êtes pas capable.
    — Je peux vous rappeler des choses très désagréables.
    — Il en existe assez pour cela.
    — Vous avez déjà témoigné dans cette bâtisse.
    « Et voilà ! » grogna le substitut du procureur à l’intention de ses voisins. Les antécédents judiciaires de ce témoin devaient nécessairement refaire surface, pour la discréditer.
    — Oui, admit la femme.
    — Pour vente de boisson sans licence, je crois. Avez-vous été condamnée ?
    Son silence valait un assentiment.
    — Lors de ces événements, vous êtes allée jusqu’à porter des accusations contre des voisins, que vous avez dû retirer ensuite, insista l’avocat.
    — Peut-être que si on fouillait votre vie, on pourrait y trouver quelque chose à redire, monsieur Francœur.
    L’audace lui valut un nouveau rire approbateur des spectateurs. Le député se drapa dans sa toge en disant :
    — Vous pouvez y aller sans cérémonie, mais ça ne peut pas intéresser cette cause. Alors, je vous conseille, madame, de ne pas faire de menace et de répondre aux questions.
    — Si vous me parlez tranquillement, je vous répondrai.
    — Vous devez comprendre que c’est sérieux.

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