Mathieu et l'affaire Aurore
feuille.
— Voici une lettre adressée à Gédéon Gagnon. L’avez-vous eue entre les mains, et à qui l’avez-vous remise ?
— Je l’ai remise à monsieur Couture.
Le juge se sentit une fois de plus forcé de clarifier la situation.
— C’est une lettre venant de votre mère ?
— Oui.
— De l’accusée, madame Gagnon ?
— Oui.
Louis-Philippe Pelletier se souciait de préciser les événements pour le compte des jurés. De plus, le témoin montrait des signes d’épuisement. Ses interventions la rassuraient un peu.
— Comme il est déjà onze heures trente, nous allons nous arrêter quinze minutes.
Mathieu s’empressa d’approcher sa chaise pour permettre à Marie-Jeanne de souffler un peu. Napoléon Francœur le regardait avec une hostilité non dissimulée. A la reprise des travaux, le stagiaire récupéra son siège et le juge entreprit d’élucider un petit mystère.
— Ecoutez-moi, ma petite fille. Comment se fait-il que vous aviez cette lettre, pour la remettre à monsieur Couture ?
Où l’avez-vous prise ?
— Pépère l’a reçue, mais eux ne savent pas lire. Je l’ai lue, moi.
— Es-tu capable de faire le serment que c’est madame Gagnon qui a écrit ça ?
— Par l’écriture, je sais que c’est elle. Je reconnais son écriture.
Francœur se leva brusquement, avec un peu de retard.
— Je m’oppose à ce que cette lettre soit produite à la cour.
Le magistrat leva la main pour le faire taire, puis demanda encore :
— L’enveloppe, avec la lettre, est adressée à Gédéon Gagnon. C’est votre grand-père, ça ?
— Oui.
— Vous avez remis l’enveloppe et la lettre à monsieur Couture ?
Elle hocha la tête. Fitzpatrick ricanait silencieusement.
Le juge s’était chargé d’établir l’origine du document.
Celui-ci entendrait les représentations des avocats et déciderait ultérieurement de la recevoir ou non comme preuve.
Pour tout de suite, le substitut du procureur général entendait continuer son interrogatoire.
— Vous avez dit que votre mère ne donnait pas le pot à votre petite sœur. Alors, où faisait-elle ses besoins ?
— Par terre.
— Maintenant, est-il arrivé qu’elle fasse sur les habits de votre père ?
— Non, c’est maman qui a fait ça.
Un autre silence permit à chacun de se représenter la scène, puis l’avocat continua d’une voix trahissant son étonnement.
— Votre mère a fait ça ? Répétez-moi ce qu’elle a fait, exactement.
— Elle a mis ça dans les habits de papa pour accuser Aurore ensuite.
Le juge passait par une gamme d’émotions inédites. De nouveau, les yeux arrondis de surprise, il demanda :
— Votre maman mettait des ordures dans les habits de votre père, pour faire passer cela sur le dos de votre petite sœur?
— Oui.
Les grands yeux bruns tournés vers lui le convainquirent totalement.
— Vous avez dit que votre mère attachait Aurore à la table, pour la brûler, continua Fitzpatrick. L’attachait-elle ailleurs ?
— En haut, après une couchette.
— Comment Pattachait-elle ?
— Les pieds et les mains ensemble.
— Avec le câble que je vous ai montré tout à l’heure ?
Le juge intervint encore, comme s’il n’arrivait pas à imaginer une scène pareille.
— Comment attachait-elle les pieds et les mains ?
— Montrez au juge et aux jurés comment elle l’attachait, l’encouragea le procureur de la Couronne.
Marie-Jeanne fit la démonstration, disparaissant derrière la barre des témoins.
— Elle se trouvait pliée en deux, expliqua-t-elle inutilement.
Sans aucune transition, le substitut du procureur se retourna pour déclarer à l’assistance :
— Votre Honneur, je n’ai pas d’autres questions.
Le juge regarda sa montre, réfléchit un instant.
— Maître Francœur, demanda-t-il, souhaitez-vous commencer tout de suite, ou bien attendre après l’ajournement pour le dîner ?
— Tout de suite.
La voix trahissait une profonde colère.
Mathieu regarda Marie-Jeanne. Elle se tenait debout, bien droite, depuis plus de deux heures, à évoquer la pire réalité. L’obliger à continuer sans se reposer représentait une autre forme de torture. Pourtant, aucun de ces professionnels de la justice ne se soucia de la question.
Chapitre 20
Joseph-Napoléon Francœur paraissait oublier l’âge du témoin, tout comme les années cruelles passées sous le toit des Gagnon. Sans aucune transition, tout à sa colère, il commença.
— Vous avez été
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