Mathieu et l'affaire Aurore
entendue à l’enquête du coroner, à Sainte-Philomène-de-Fortierville ?
— Oui.
— Qui vous a questionnée ?
— Je ne sais pas.
Mathieu sourit. Elle n’avait aucune raison de se remémorer les noms. Les connaître trop bien donnerait l’impression d’un témoignage appris par cœur.
— C’était le docteur Caron ?
— Je ne le connais pas.
— Lorsque vous avez été entendue, étiez-vous seule dans la sacristie ?
— Non. Il y avait des jurés, madame Arcadius Lemay, d’autres aussi, des gens de la paroisse.
Une petite foule se trouvait là. Le stagiaire fut heureux qu’elle ne signale pas sa propre présence.
— Votre mère, l’accusée, y était-elle ?
— Oui.
— Vous avez prêté serment, cette fois-là ?
— Oui.
Son faux témoignage entacherait toute sa déposition d’aujourd’hui, Francœur n’en doutait pas.
— Ce jour-là, vous a-t-on demandé si, à votre connaissance, votre mère avait maltraité Aurore ?
— ... Oui.
— Et vous avez juré que non ?
— J’avais peur.
— Peur de quoi ?
Après tout le récit de la matinée, la question amena un rire nerveux dans la salle. Marie-Jeanne expliqua d’une voix blanche :
— Elle m’avait promis une bonne volée, si je parlais de ce qu’elle avait fait.
— Elle vous avait promis une volée ?
La fillette le regarda, impavide. Elle ne répéterait pas deux fois sa réponse. Cet entêtement témoignait de sa détermination.
— Quand votre mère vous a-t-elle promis cette volée ?
— Elle est montée en haut, avant de partir de la maison.
C’est là qu’elle m’a dit ça.
— Et alors, sous serment, vous avez dit le contraire de ce que vous racontez aujourd’hui, de peur de recevoir une volée ?
— Oui.
En insistant, Francœur n’attirait pas la sympathie du juge, ni des jurés.
— Ce que vous venez de raconter aujourd’hui, vous l’avez nié, sous serment, à Sainte-Philomène ?
Marie-Jeanne chercha des yeux le visage de Mathieu. En constatant cela, l’avocat se déplaça, pour se mettre entre elle et lui.
— N’est-ce pas ? insista-t-il.
— Oui.
— Savez-vous ce qu’est un serment?
— Un serment, c’est prendre Dieu à témoin de la vérité de ce qu’on dit.
L’homme hocha la tête gravement, comme un prêcheur du temps de l’inquisition prenant une pauvre âme en défaut.
— Donc à Sainte-Philomène, quand vous avez pris Dieu à témoin de la vérité de ce que vous disiez, vous avez juré faux?
Des larmes coulèrent sur les joues de la fillette.
— Dites oui ou non, s’entêta l’avocat.
Le juge, lui aussi visiblement très ému, s’interposa d’une voix bourrue.
— Je crois qu’elle se trouve à vous avoir admis ça.
Francœur regarda le magistrat avec un air de défi.
— Si à Sainte-Philomène, vous avez juré faux, enchaîna-t-il, aujourd’hui, encore sous serment, est-ce que vous dites faux?
— Non.
— Après l’arrestation de votre mère, qui est en prison ici, et de votre père, vous avez affirmé, que votre témoignage devant le coroner était vrai.
— Je n’ai jamais parlé de ça.
— Vous n’avez jamais parlé de ça ? s’exclama-t-il avec surprise.
Francœur tourna sur lui-même pour prendre l’assistance et les jurés à témoin.
— Vous me l’avez dit à moi, que ce témoignage était vrai.
Marie-Jeanne demeura muette, les yeux baissés, une petite silhouette fragile dont la tête seule dépassait de la barre.
— Vous m’avez répété que ce témoignage était vrai.
Votre mère était alors en prison, elle ne pouvait pas vous menacer.
— Je ne me rappelle pas.
Lors de la première comparution des accusés, Francœur était convaincu de la libération du couple, dans l’attente du procès. La fillette adaptait alors ses affirmations à l’éventualité de les voir rentrer à la maison tout de suite après les procédures. Peut-être avait-elle vraiment oublié. Plus vraisemblablement, s’en justifier aujourd’hui demandait un exposé dont elle ne se sentait pas la force.
L’avocat insista, répéta trois fois «Vous ne vous rappelez pas ? », sans obtenir de réponse. Il ajouta un «Vraiment ? »
sceptique. A la fin, il changea de tactique.
— N’est-il pas vrai que vous avez confirmé à d’autres aussi l’exactitude de ce premier témoignage ?
— Je ne l’ai dit à personne d’autre.
— Personne d’autre ? Vous l’avez dit à moi seul ?
Piégée, elle le regarda, un sillon d’inquiétude
Weitere Kostenlose Bücher