Mathieu et l'affaire Aurore
La femme est folle !
Du regard, il défia son adversaire.
— Mais c’est avec intelligence que cette femme s’est révélée cruelle.
Pendant une heure, le substitut du procureur général dressa la liste des sévices connus, montra comment l’accusée les infligeait avec intelligence, soucieuse de ne pas se faire prendre, soucieuse aussi de faire un complice de son époux.
Puis, avec la même patience, il rappela de nombreux criminels qui, après avoir plaidé la folie, étaient tout de même montés sur l’échafaud.
— Marie-Anne Houde a déjà affirmé vouloir qu’Aurore meure «sans que personne ne le remarque». Par ses mauvais traitements, elle est arrivée à la tuer. Mais Dieu a voulu que la main de la justice s’appesantisse sur elle. Elle a commis un meurtre prémédité, je vous demande de l’affirmer par votre verdict.
Lui aussi pouvait parler de Dieu en terminant une plaidoirie. Il se tourna vers le juge en disant :
— Votre Honneur, j’ai terminé.
Comme il regagnait sa place, la grande porte au fond de la salle s’ouvrit, Mathieu entra timidement. Le juge arqua les sourcils puis, bon prince, il lui désigna du doigt sa place habituelle. Au cours des derniers jours, tous ces gens reconnaissaient sa présence dans l’appareil judiciaire.
— Ai-je raté quelque chose ? souffla-t-il en retrouvant sa place.
— Oh ! Presque rien, répondit Lachance, un sourire en coin. Juste le discours du patron.
Le stagiaire voulut s’excuser, reformuler la question. Un claquement sec vint du banc du juge.
*****
Louis-Philippe Pelletier savait que le procès de Télesphore Gagnon commencerait bientôt dans cette même salle.
Comme il souhaitait s’exprimer longuement, il préféra commencer tout de suite. Machinalement, il inscrivit l’heure sur la feuille devant lui : midi quinze.
— Messieurs les jurés, une responsabilité importante vous incombe : rendre un verdict dans l’un des procès les plus retentissants des dernières décennies dans cette province.
Pour vous aider à accomplir cette tâche, je dois vous donner des directives.
Pendant une vingtaine de minutes, il cita divers articles du Code criminel, puis les leur expliqua.
— Trois verdicts s’offrent à vous, vous devrez prendre votre décision à l’unanimité. D’abord, vous pouvez déclarer cette femme innocente, à cause de la folie. Dans ce cas, l’accusée ira dans un asile. Elle ne passera pas cette porte pour retourner chez elle. Vous me comprenez ?
Les hommes hochèrent la tête avec gravité.
— Vous pouvez aussi rendre un verdict d’homicide involontaire si, à votre avis, l’accusée a bien infligé les mauvais traitements à Aurore, mais sans souhaiter sa mort.
Par exemple, cela arrive parfois dans le cadre d’une bataille.
Un homme donne un coup de poing à un autre, qui en meurt. Dans ce cas, cet homme-là a pu agir sans vouloir tuer.
De nouveau, les jurés opinèrent du chef.
— Si vous rendez un verdict de meurtre, ce sera parce que vous pensez que Marie-Anne Houde a infligé des blessures à la petite fille en sachant que celles-ci pouvaient entraîner la mort. Cela correspond à l’article 259 du Code, que je vous ai lu tout à l’heure. Vous saisissez bien le sens de mes paroles ?
Les douze hommes, très dignes, acquiescèrent.
— Profitez bien de la pause, vous aurez tout à l’heure un rude travail à effectuer. Nous reprendrons la séance à deux heures. Je vous résumerai la preuve.
Sur ces mots, il ramassa ses notes et quitta la salle.
— Allons manger, dit Fitzpatrick à ses collègues. Le juge en aura long à nous dire, et il veut rendre sa sentence avant d’aller dormir.
— Il sera peut-être déçu, fit remarquer Mathieu. Parfois, les jurés débattent pendant des heures.
— Les vieux de la vieille sont déjà dans le couloir en train de prendre des paris sur la durée de leurs délibérations. Si vous souhaitez vous amuser à cela, misez sur un verdict rapide. Nous souperons tous à la maison... si nous avons encore de l’appétit.
Francœur s’était éclipsé parmi les premiers, la mine basse. Lui aussi s’attendait à une décision expéditive... et défavorable à sa cliente.
*****
Les restaurants des environs firent d’excellentes affaires.
A chaque table, si on se fiait aux conversations, semblait siéger un jury. Tous discutaient du verdict à venir. À deux heures précises, le juge Louis-Philippe Pelletier reprit sa place avec une petite
Weitere Kostenlose Bücher