Mathieu et l'affaire Aurore
pour Télesphore Gagnon avec la même fougue.
— Tout de même, commenta Lachance, c’est dommage de voir une si belle carrière se terminer.
— Oui. Pour un conservateur, il faut convenir que c’est un homme très bien.
Mathieu ne comprenait plus. Comme ses voisins ne songeaient pas à éclairer sa lanterne, il demanda :
— Quelle carrière se termine ?
— Le juge Pelletier a présidé son dernier procès. Après-demain, un type de Trois-Rivières le remplacera. Il est âgé, mais ce n’est pas cela. Le procès l’a brisé.
Le stagiaire baissa la tête, touché par cette fragilité. En réalité, le juge Louis-Philippe Pelletier mourrait longtemps avant la femme qu’il venait de condamner à mort.
Dans le corridor, le trio de l’accusation vit passer une silhouette masculine noire et longiligne.
— Voilà Ferdinand Massé, maugréa Mathieu en le reconnaissant. Le curé de Sainte-Philomène-de-Fortierville s’élance au secours de sa paroissienne.
Cette fidélité le troubla. Le prêtre demeurait-il convaincu de la légitimité des sévices imposés à l’enfant pour la ramener dans le droit chemin ? Sa présence tenait-elle, pour lui aussi, à la recherche d’une rédemption? Il passerait la nuit en compagnie de la condamnée dans une petite salle de la prison de Québec.
— Bon, déclara Fitzpatrick en tendant la main, rentrons à la maison. Picard, vous avez fait du bon travail. Je compte vous voir lors des témoignages des enfants, dans le cadre du prochain procès. Si vous en avez le temps, venez tous les jours. Mais ne négligez pas vos examens.
Le jeune homme se troubla en acceptant la poignée de main.
— Je vous remercie.
— Vous en prendrez conscience plus tard, vous avez beaucoup appris, moins au niveau du droit que pour tout le reste.
— Vous avez raison.
Mathieu serra aussi la main de Lachance, puis il se dirigea vers le commerce de la rue de la Fabrique. Il souperait avec sa mère, puis réclamerait à Flavie une promenade dans le parc Victoria. A ces deux femmes, il demanderait de ne pas dire un mot au sujet d’Aurore et de la marâtre.
Chapitre 25
Après les émotions intenses de l’avant-veille, ce fut un peu de mauvaise grâce que Mathieu revint au palais de justice avant la reprise de l’audience, le vendredi 23 avril en après-midi. En prenant place à la table de l’accusation, il s’entendit demander :
— Les cours de cette seconde année se sont bien terminés, ce matin ?
Arthur Fitzpatrick paraissait réellement préoccupé de son succès.
— Oui, répondit-il de bonne grâce. Après ma longue absence, le retour en classe m’inquiétait un peu. Mais les choses se sont bien passées.
— Vous voulez dire, excepté le côté un peu abusif de votre employeur actuel.
Le substitut du procureur affichait un sourire narquois.
— En toute sincérité, le fait d’être très occupé m’a rendu les choses plus faciles. Puis, ce genre de procès n’arrive que très rarement, aucun de nous ne pouvait le prévoir.
— Heureusement! S’il fallait plonger dans un cloaque de ce genre toutes les semaines, je chercherais une occupation plus tranquille.
Le jeune homme reçut l’affirmation avec scepticisme.
— Le choix des jurés s’est-il déroulé rondement, ce matin ? fit-il.
— Le juge s’est démené comme un beau diable pour trouver des gens sans idée préconçue sur la culpabilité de notre bonhomme.
— Dans la province, tout le monde a une opinion.
— En conséquence, nous aurons devant nous les douze hommes de Québec les plus habiles à la dissimuler.
Par souci de justice, les magistrats tentaient de recruter des personnes libres de préjugés pour entendre une cause.
Après le fracas du procès précédent, à moins de revenir d’un voyage dans un pays lointain, tous les candidats connaissaient, ou croyaient connaître, les faits.
— L’opération a été difficile au point que l’on a accepté un Anglais, continua l’avocat. Nous devrons donc tout faire dans les deux langues.
— Vous n’êtes pas sérieux. Aucun des témoins ne connaît un mot d’anglais.
— Très sérieux. Je devrai poser mes questions dans les deux langues et traduire les réponses.
Cela risquait de doubler la longueur de la procédure.
L’équipe de la défense prenait place à la table voisine.
Joseph-Napoléon Francœur présentait un visage morose, comme si sa dernière défaite lui restait en travers de la gorge.
L’avocat se trouvait
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