Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
se méfia pas.
    — Oui, c’est arrivé.
    — Pour tirer les arbres de la forêt, vous utilisez un attelage de bœufs ?
    — Non, des chevaux.
    — Les bœufs sont plus forts.
    Le cultivateur eut un sourire suffisant devant tant d’ignorance de la part du citadin.
    — Oui, mais ils sont plus stupides.
    — Donc, vous avez utilisé contre votre fille un fouet vous servant à mater des chevaux.
    Dans les années à venir, les habitants de Fortierville se diraient que certains hommes valaient les bœufs, au chapitre de la stupidité. Leur voisin n’avait pas vu le piège tendu devant lui.
    — Elle était très difficile à élever, je vous l’ai dit. Une vicieuse.
    — Vous la battiez souvent ?
    — ... Quand je la voyais faire une grosse bêtise.
    — Pendant la journée, vous n’étiez pas là. Elle devait se coucher tôt, à son âge. Vous n’étiez donc pas témoin de ces bêtises.
    L’homme garda le silence, puis admit comme à regret :
    — Je la châtiais le soir, quand ma femme me signalait une faute grave.
    Pour des personnes bien encadrées par leur curé, forcées dans l’enfance à mémoriser les centaines de questions et de réponses du catéchisme, les concepts de faute et de châtiment ne faisaient pas mystère.
    — Elle a dû vous signaler beaucoup d’écarts de conduite, compte tenu de toutes les blessures identifiées tout à l’heure par le médecin.
    Mathieu remarqua un mouvement d’humeur chez la femme Gagnon, exprimé par un raidissement soudain. Au lieu de chercher à établir la gravité des forfaits susceptibles de causer des corrections aussi sévères, le coroner désarçonna son témoin en empruntant une nouvelle direction.
    — Vous me paraissez être un homme très vigoureux.
    Dites-moi, un fouet utilisé contre des chevaux, cela pourrait sans doute estropier, ou même mer une personne comme moi ?
    — Peut-être bien, ricana-t-il.
    Après avoir passé un si mauvais moment, Télesphore laissait transpirer sa colère. L’idée d’infliger une volée de ce genre au magistrat devait lui sourire.
    — Croyez-vous que les conséquences seraient aussi graves pour monsieur Picard, assis à côté de moi ?
    D’habitude, les beaux messieurs de la ville paraissaient bien frêles aux yeux de ces paysans. Le témoin toisa Mathieu, qui soutint son regard avec un sourire amusé. Une flamme dans les yeux de l’étudiant lui inspira la prudence.
    — Je ne pense pas. D’abord, il ne se laisserait pas faire.
    — Je crois que vous avez raison. Vous savez reconnaître un homme plus fort que vous.
    Caron se déplaça sur sa chaise, comme pour prendre la mesure de son interlocuteur à son tour.
    — Mais en traitant ainsi une petite fille de dix ans, vous n’aviez pas réalisé que vous pouviez la tuer?
    Quand le stagiaire fit mine de prendre en note l’essentiel du dernier échange, le magistrat lui fit un signe négatif du doigt, derrière la table. Il enchaîna bientôt:
    — Monsieur Gagnon, pouvez-vous lire le compte rendu de notre ami ?
    L’autre secoua la tête de droite à gauche. Dans cette paroisse, une majorité des adultes ne devait pas être en mesure de déchiffrer un texte un peu complexe.
    — Dans ce cas, il le fera pour vous, et si tout est conforme, vous signerez.

    Mathieu s’exécuta. Quand il lui fallut apposer sa griffe, le cultivateur poussa un soupir de soulagement. Le résumé lui paraissait bien peu incriminant, bien moins que les paroles prononcées.
    — Maintenant, poursuivit le coroner, j’invite les jurés à se retirer dans la petite salle attenante. Ils reviendront nous donner leur conclusion. Messieurs !
    En se levant, Caron leur désigna de la main la pièce située au fond de la sacristie. Elle donnait accès à l’église elle-même. Le curé y rangeait ses vêtements sacerdotaux dans une grande
    armoire.
    Les
    six
    hommes
    paraissaient
    un
    peu surpris de devoir se retirer, tant la conclusion leur paraissait évidente. Ils revinrent après quelques minutes à peine, pour discuter à mi-voix avec le coroner.
    Celui-ci reprit bientôt sa place pour dire :
    — Les membres du jury entérinent la conclusion du rapport d’autopsie. Aurore Gagnon est morte soit d’un empoisonnement généralisé du sang, soit d’une autre cause à déterminer par des analyses.
    C’était, à peu de chose près, les mots mêmes du docteur Marois. Mathieu dissimula mal sa déception. Après le témoignage de Télesphore Gagnon, «morte des suites de blessures

Weitere Kostenlose Bücher