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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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témoigner assise. Ce jeune homme à côté de moi va t’apporter une chaise.
    Mathieu fut un peu long à comprendre que le coroner parlait de lui. Après avoir posé sa plume, il se leva avec empressement, suscitant un rire étouffé, alla prendre la chaise vide entre les deux parents, la posa à côté de la jeune fille.
    — Mademoiselle, dit-il, si vous voulez bien vous asseoir.
    Elle leva sur lui deux yeux bruns effarouchés, mamotta un «Merci»
    à peine audible.

    — Tu connaissais la défunte ? commença Caron d’une voix douce.
    — C’était ma sœur.
    — Vous aviez la même maman et le même papa ?
    — Oui.
    Caron fronça les sourcils.
    — La dame à côté de laquelle tu étais assise, tout à l’heure, n’est pas ta mère naturelle ?
    — ... Non.
    Elle leva des yeux furtifs en direction de Marie-Anne Gagnon,
    comme si
    cette admission constituait
    une
    trahison.
    — Tu savais que ta petite sœur se trouvait bien mal ?
    — ... Il y a trois semaines, elle a commencé à avoir des boursouflures sur le corps. Cela a crevé...
    — Ces boursouflures sont apparues pour quelle raison ?
    La tête de l’adolescente esquissa un mouvement vite réprimé vers la gauche. Elle avait souhaité porter les yeux sur ses parents, pour se ressaisir tout de suite.
    — Je ne sais pas. Peut-être la tuberculose.
    — Elle toussait ?
    Du chef, elle amorça un mouvement de droite à gauche, qui se transforma pour aller de bas en haut. « Elle ment, songea Mathieu, mais elle meurt d’envie de dire la vérité. »
    — Tu as dit que ces bosses ont crevé ?
    — Pour laisser sortir un jus jaune-vert.
    — Tu sais, même la tuberculose n’entraîne pas des blessures comme celles-là.
    La fillette contempla le coroner, soudainement très incertaine.
    — Tu as entendu le docteur Marois, tout à l’heure. Ces plaies font penser à des coups. Tu as déjà vu ton papa frapper Aurore ?
    — Tu veux parler plus fort ? Je n’ai pas entendu.
    Elle fixait maintenant résolument le plancher.
    — Non, jamais.
    — Tu ne l’as jamais vu utiliser un manche de hache, un morceau de bois, un fouet ?
    — Non.
    Cela entrait en contradiction avec les affirmations de la voisine.
    — As-tu déjà vu ta belle-mère frapper Aurore ?
    Cette fois, elle ne parvint pas à se maîtriser, ses yeux allèrent vers ses parents.
    — Non.
    — Jamais ?
    — Jamais.
    Dans un milieu si rude, tous les parents levaient de temps en temps la main sur des enfants un peu récalcitrants. Le mensonge sautait aux yeux. Le coroner poussa un soupir avant d’adopter une nouvelle stratégie.
    — Tu as dit qu’elle a commencé à enfler il y a trois semaines.
    — Oui.
    — Sa situation est restée la même jusqu’à hier ?
    — Non, cela a empiré il y a cinq jours environ.
    «Trois semaines au cours desquelles aucun médecin n’avait été appelé à son chevet», songea Mathieu.
    —
    Tu peux me raconter ce qui s’est passé hier?
    L’enfant établit encore un contact visuel avec ses parents.
    — Elle s’est levée vers neuf heures. Elle paraissait très faible.
    — Elle a mangé quelque chose ?
    — Des patates, du rôti... elle a pris une « beurrée » avec du sirop, aussi. Elle paraissait très faible, elle s’est couchée sur la table.
    Pour être bien comprise, Marie-Jeanne croisa ses bras et fit mine de poser son visage sur ceux-ci.
    — Alors maman l’a lavée...
    — Tu veux dire ta belle-mère ?
    Le stagiaire surveilla la réaction du couple. La femme se raidit comme si elle avait reçu un coup de fouet. Le coroner tentait d’établir une distance entre l’enfant et la seconde épouse de son père. Marie-Jeanne ne l’entendait pas ainsi.
    — Oui, maman.
    Le docteur Caron poussa un soupir.
    — Qu’est-ce qu’elle a fait ensuite, ta maman ?
    — Aurore délirait. Elle a appelé le docteur Lafond. Elle était sans connaissance quand il est arrivé.
    Inutile de continuer, d’autres personnes témoigneraient, si nécessaire, de la suite des événements.
    — Je te remercie, Marie-Jeanne, tu as été très brave.
    Comme pour les deux autres témoins précédents, Mathieu lui présenta son résumé afin de lui permettre de le lire. Ensuite, du doigt il lui montra où signer.
    — Monsieur Picard va rapporter ta chaise à sa place.
    Nous achevons, tu pourras bientôt rentrer chez toi.
    En revenant vers sa mère adoptive, d’un regard effrayé, la fillette quêta une approbation. Le stagiaire crut percevoir un léger mouvement de la

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