Mathieu et l'affaire Aurore
fourrure, assis sur la banquette de sa voiture de livraison, Oréus Mailhot se trouvait devant la porte. Mathieu contempla le ciel étoilé, laissa échapper un long soupir exhalant un jet de vapeur blanche. Comment pouvait-il encore se rendre utile ?
— Messieurs, je vais rester ici quelque temps, conclut-il.
Il tendit la main pour saluer ses deux compagnons, transporta leurs sacs dans le traîneau.
— Monsieur Mailhot, interrogea-t-il en se plantant à côté de lui, y a-t-il une auberge dans ce village ?
— Non. La plus proche se trouve à Saint-Jean-Deschaillons.
— Mais des habitants doivent louer des chambres aux personnes de passage ?
L’autre secoua la tête, puis précisa:
— Personne ne passe par ici. Vous cherchez où loger ?
Mathieu répondit par l’affirmative.
— Allez au magasin général, là-bas. C’est chez moi.
Prenez un arrangement avec ma femme.
Les docteurs Marois et Caron avaient pris place dans la voiture. L’homme fit claquer les rênes sur le dos de sa jument afin de la faire avancer.
Chapitre 6
Madame Mailhot, une matrone allant sur ses quarante ans, ne lui fit pas un trop mauvais accueil.
— Comme vous arrivez ici à la dernière minute, vous trouverez le repas du soir un peu... modeste. Je n’avais pas prévu trois personnes.
— De toute façon, je n’ai pas un bien grand appétit, ce soir. — Je comprends. Après le récit de cette histoire épouvantable...
Mathieu acquiesça d’un signe de la tête, songeant qu’après avoir été témoin de l’autopsie, l’enquête n’aurait plus rien pour le troubler.
Ses yeux firent rapidement le tour de l’établissement. Le magasin général occupait tout le rez-de-chaussée de la grande demeure, un cube solide mais sans aucune élégance.
Les paysans trouvaient de tout en cet endroit, à condition de maintenir leurs attentes au minimum. Par exemple, aucune femme des environs ne commettrait une dépense aussi fantaisiste qu’une robe ou un pantalon confectionné.
Mais le propriétaire offrait du tissu à la verge, des clous, des manches de hache ou de pioche, du sucre et de la farine, et même quelques jouets.
En haut, les quartiers du couple Mailhot présentaient les signes d’une modeste aisance. Un établissement de ce genre leur permettait de bien vivre, de se hisser au rang de notables. Il trouva la petite chambre rouge au bout d’un couloir : l’appellation tenait à la couleur du papier peint. Ce serait son logis jusqu’au lendemain.
Quarante minutes plus tard, à table, Mathieu entendit le juge de paix faire un récit succinct de la procédure à l’intention de son épouse.
— A coups de fouet? s’indigna-t-elle. C’est une véritable brute.
— Cet homme a-t-il une bonne réputation, dans la paroisse ? questionna l’invité.
L’homme et la femme se consultèrent du regard.
— Plutôt bonne, je suppose, admit Oréus. Le bonhomme travaille fort, il est assez habile de ses mains. Des paroissiens font appel à ses services pour des travaux de charpenterie. D’autres s’adressent à lui pour ferrer des chevaux, ou même pour des travaux de forge.
— Comment trouve-t-il le temps d’exploiter une ferme et d’aller aux chantiers ? demanda Mathieu.
— Ici, tout le monde a une terre, répondit l’épouse, ou à tout le moins un grand potager et quelques animaux.
— Nous-mêmes, enchaîna le mari, nous avons deux vaches, pour avoir du lait frais, et le curé en a une. Mais Gagnon possède trois terres, qu’il arrive à exploiter seul.
L’homme prit le temps de bien mastiquer un morceau de bœuf avant de préciser encore :
— Puis, ici, tous les cultivateurs vont au chantier. Dans le meilleur des cas, ils bûchent dans le bois situé au bout de leur terre de quoi se chauffer, les billes à transformer en planches, le plus souvent pour leur propre usage.
— D’autres, poursuivit la femme, se retrouvent tout l’hiver sur les terres de la seigneurie. Ils ne reviennent pas avant le printemps. Certains vont plus loin encore.
La seigneurie de Lotbinière était couverte de grandes forêts. Les cultivateurs mariés les plus pauvres, ou alors les jeunes gens désireux de ramasser l’argent nécessaire pour
«s’établir» à leur tour, y travaillaient de longs mois.
— Pour pratiquer tous ces métiers, reprit Mathieu, je suppose que Gagnon doit être assez pauvre.
— Non, bien au contraire. Dans la paroisse, il s’agit d’un homme assez prospère. Vous voyez, en
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