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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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savoir si on lui a administré du poison.
    Cette façon de présenter les choses mettait les Gagnon dans une position doublement précaire. Une septicémie attribuable à un refus d’apporter les soins adéquats signifiait une accusation d’homicide involontaire. Si on lui avait administré un poison, ce serait un meurtre pur et simple, conduisant à la potence.
    — Je vous remercie, docteur Marois.
    Le médecin avait laissé toute l’assemblée dans un état d’abattement complet.

    *****

    — Nous allons entendre maintenant madame Exilda Lemay, née Auger, de cette paroisse, continua le docteur Caron après une courte pause.
    Elle se tenait comme au garde-à-vous, à gauche de la table, une silhouette un peu forte, l’air emprunté dans ses habits du dimanche. La tradition voulait que les témoins restent debout. À son tour, elle prêta serment sur les Saints Evangiles.
    — Madame, vous connaissez bien les Gagnon, je crois ?
    — ... Ce sont nos voisins les plus proches.
    — Proches à quel point ?
    — Deux, trois arpents.
    Un ricanement souligna ses mots.
    — Vous avez entendu la liste des mauvais traitements subis par la défunte. Vous pouvez nous dire quelque chose à ce sujet?
    — C’est-à-dire que... l’autre jour...
    — Quand ça ? Vous devez vous montrer précise.
    — Il y a dix jours, le 2 février. Je suis allée chez eux. La petite... je veux dire Aurore, se trouvait au lit, malade.
    À sa façon de prononcer le dernier mot, elle indiquait sa conviction que cette maladie-là, l’enfant ne la devait pas à des causes naturelles.
    — Un jour ou deux auparavant, ils étaient venus chez moi. La belle-mère m’a dit alors qu’elle était dure à élever, au point qu’ils devaient la corriger à coups de manche de hache.
    Un murmure parcourut l’assistance. Même le docteur Caron parut impressionné.
    — Qu’avez-vous répondu ?
    — Je lui ai dit de la mettre au couvent, s’ils n’arrivaient pas à l’élever. Les sœurs savent comment s’y prendre. Elle m’a répondu...
    — Qui vous a répondu ?
    — Elle... Marie-Anne Gagnon m’a répondu que cela coûtait trop cher.
    Exilda Lemay apprenait rapidement à appuyer ses affirmations d’intonations, de regards destinés à convaincre. Aux étapes ultérieures du procès, cette dame ferait un témoin à charge redoutable. Mathieu n’écrivait pas assez vite pour prendre ses paroles mot pour mot. Seul un véritable greffier pouvait le faire. Il devait se limiter à résumer son propos.
    Sur sa feuille blanche, l’échange suivant se limita à: «L’enfant ne se plaignait jamais quand on la voyait. »
    — Vous l’avez vue encore, par la suite ?
    — Le 10, mardi dernier. Encore une fois, Aurore était dans son lit. Cette fois, je suis montée pour l’apercevoir étendue sur une paillasse vide.
    La paysanne répéta la description faite plus tôt au juge de paix Mailhot.
    — À ce moment, vous avez dit quelque chose de particulier aux parents ?
    — Seule madame Gagnon se trouvait là. J’ai dit: «Votre enfant est très malade, il faut la faire soigner. Appelez le docteur. »
    — ... Quelle fut sa réponse ?
    — « C’est l’enfant de mon mari. S’il veut la faire soigner, qu’il le fasse. S’il me donne des remèdes pour elle, je les lui administrerai.» Elle a dit exactement ça.
    L’indifférence de cette mère suscita un nouveau murmure indigné.
    La
    femme
    termina
    son
    récit
    avec
    les
    événements survenus la veille, de la matinée jusqu’au décès de la fillette. Elle signa ensuite le résumé de sa déposition.

    Le docteur Caron, songeur, posa les yeux sur le père et la sœur de la défunte.
    — Maintenant, je demande à Marie-Jeanne Gagnon de venir témoigner.
    La fillette leva d’abord les yeux vers son père, trouva un visage fermé, un peu obtus, puis vers sa belle-mère. Le voile empêcha le coroner de lire le regard de cette dernière.

    *****
    L’enfant se dirigea vers la place réservée aux témoins, intimidée par tout ce cérémonial et tous ces inconnus.
    — Quel âge as-tu, petite ? demanda le magistrat.
    — Douze ans.
    — Tu comprends ce que veut dire «prêter serment»?
    Elle hocha lentement la tête, le visage très grave.
    — Cela signifie que tu devras dire toute la vérité.
    De nouveau, elle acquiesça, puis allongea la main au-dessus des Evangiles pour jurer, comme les deux témoins avant elle.
    — Ce n’est pas l’habitude, mais à cause de ton jeune âge tu pourras

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