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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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tête voilée.

    *****
    Malgré la saison et des marguilliers très économes du bois de chauffage de la paroisse, l’atmosphère devenait étouffante dans la sacristie. Les tempes prises dans l’étau d’une migraine naissante, le coroner appela le témoin suivant.
    — Monsieur Télesphore Gagnon.
    Le père vint près de la table, il prêta serment.
    — Quel est votre âge ?
    — Trente-sept ans.
    — Cette femme, Marie-Anne Houde, est bien votre seconde épouse ?
    — Oui, je l’ai mariée il y a deux ans.
    Avec ses six pieds et quelques pouces, le cultivateur dominait de sa taille la table où prenaient place les deux représentants des autorités. Mince, il ne paraissait pas fragile pour autant, bien au contraire.
    — Elle avait des enfants ?
    — Deux garçons.
    — Et vous ?
    — Deux filles à la maison, un garçon placé. Un autre de mes garçons, Joseph, est mort fin 1917.
    Perdre deux enfants sur quatre, en milieu rural, n’avait rien d’exceptionnel. Tout de même, deux ans après son mariage avec la femme Houde, il ne restait plus que Marie-Jeanne à la maison. Cette statistique paraissait bien lugubre.
    — Vous avez eu des enfants de votre seconde épouse ?
    — Une fille, Pauline.
    Comme le témoin devait commencer à se sentir en confiance, Caron décida de changer le registre de ses questions.
    — D’après vous, de quoi votre fille est-elle décédée?
    L’homme écarquilla les yeux.
    — Je ne suis pas docteur.
    — Mais vous l’avez vue dépérir.
    D’une façon un peu laborieuse, le père reprit à l’identique le récit de sa fille aînée : les plaies purulentes sur les bras et les jambes, la détérioration soudaine de son état quelques jours plus tôt.
    — Elle avait des blessures sur tout le corps, remarqua le coroner.
    — Ça, je ne sais pas. Ma femme s’occupait de sa toilette, de ses soins.
    — Tout de même, la bosse sur la tête, les yeux au beurre noir, le front enfoncé... Il n’est pas nécessaire de déshabiller quelqu’un pour voir cela.
    Télesphore balaya la salle du regard pour faire taire un ricanement venu de l’assistance.
    — Ma femme donnait les soins.
    — Si je résume bien vos paroles, elle portait des blessures remplies de pus sur les membres, sa tête et son visage se couvraient de plaies, selon vos propres dires, elle présentait des signes de maladie depuis trois semaines, son état empirait depuis samedi ou dimanche dernier. C’est bien cela?
    — ... Oui.
    — Mais vous n’avez jamais songé à appeler le médecin.
    — Ma femme s’occupe des soins aux enfants.
    — Votre femme a dit devant témoin que, puisqu’il s’agissait de vos enfants, vous deviez prendre l’initiative.
    Un mouvement se fit entendre dans la salle. Impatients de rentrer pour prendre leur repas du soir, les spectateurs, assis sur le bout de leur siège, attendaient la réponse d’un voisin, pour plusieurs d’un parent.
    — Je ne l’ai jamais entendue dire cela devant moi.
    — Même hier, vous n’avez pas jugé bon de téléphoner au docteur Lafond. Vous avez le téléphone, n’est-ce pas ?
    De nombreux ménages se trouvaient encore privés de ce moyen de communication. La précision valait la peine d’être faite.
    — Oui, j’ai le téléphone. Mais quand je suis parti au chantier, elle paraissait bien.
    Cette piste méritait d’être creusée. Mathieu fut déçu de voir le docteur Caron changer de sujet une fois de plus, peut-être à cause de son souci de prendre le train en soirée.
    — Cette enfant portait de nombreuses traces de coups.
    Vous l’avez frappée bien fort. Elle devait être bien difficile à élever.
    — Très difficile. Elle avait tous les vices.
    — Au point de la frapper avec un manche de hache ?
    — Je n’ai jamais fait ça.
    Sa protestation sortit d’un trait. Le coroner n’insista pas.
    — Vous avez reconnu la châtier sévèrement. Avec quoi l’avez-vous frappée?
    — ... Des éclats de bois.
    — Que voulez-vous dire ?
    — Pour allumer le poêle, on met du papier, des éclats de bois...
    Avec ses mains, l’homme indiquait une longueur de quinze ou dix-huit pouces.
    — Moi, je chauffe au charbon, je ne sais pas... Ils sont gros comme cela, ces éclats ?
    Le coroner indiquait une épaisseur de deux pouces environ.
    — Oh ! Plus petit que cela.
    — Le docteur Marois a aussi évoqué un fouet. Vous avez déjà frappé Aurore avec un fouet?
    Peut-être à cause du ton badin de l’échange précédent, le témoin ne

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