Mathieu et l'affaire Aurore
midi. Il assisterait à la procédure depuis la première rangée de bancs mis à la disposition des spectateurs.
La première comparution des suspects venait le plus souvent dans les vingt-quatre heures suivant l’arrestation.
L’obligation de respecter le jour du Seigneur n’avait pas permis de procéder aussi rapidement. Tout de même, un peu plus de quarante-huit heures après la scène sur le parvis de l’église, le couple Gagnon comparaissait devant le juge Philippe-Auguste Choquette, de la Cour des sessions de la paix.
Le magistrat jouissait d’une réputation enviable. Député fédéral pendant six ans au siècle précédent, sa nomination sur le banc avait mis fin à une longue sinécure au Sénat. De sa place surélevée, il toisa longuement les accusés.
— Votre Honneur, annonça Arthur Fitzpatrick, mon bureau entend déposer des accusations de meurtre contre Télesphore Gagnon et Marie-Anne Gagnon, née Houde, tous les deux domiciliés à Sainte-Philomène-de-Fortierville. Vous avez devant vous le rapport de l’enquête du coroner...
— Votre Honneur, intervint l’avocat de la défense en se levant de son siège placé derrière une table voisine, je veux réclamer l’interdit de publication. La nature de cette affaire risque de donner lieu, dans la presse, à un déchaînement peu compatible avec l’intérêt de la justice.
— Vous voulez sans doute parler plutôt des intérêts de vos clients, répondit le juge, moqueur.
— Puisque tous les deux sont les justiciables, leur intérêt se confond avec celui de la justice.
Le procureur de la défense, Joseph-Napoléon Francœur, s’appuyait d’une main sur la table. Devant lui, le rapport du coroner se trouvait ouvert à la page de l’autopsie. Recruté dès samedi en soirée, l’homme avait pu en obtenir une copie. Son visage glabre, marqué par une bouche étroite et mince, trahissait un certain malaise.
Agé de quarante ans, élevé à la campagne par des parents cultivateurs, il connaissait une carrière florissante. Au droit et à la politique s’ajoutait la spéculation sur des terrains à bâtir situés à Limoilou.
— Monsieur Fitzpatrick, demanda Choquette, allez-vous vous opposer à cette requête ?
— Cette cause comporte en effet des aspects bien troublants.
A cette étape-ci, l’interdit de publication me paraît indiqué. Bien sûr, il en ira autrement au procès proprement dit.
— Bien sûr. Interdit de publication accordé. Cela signifie, messieurs les journalistes, que si je lis une ligne sur cette affaire, vous et vos chefs de pupitre aurez de gros ennuis.
Pour la première fois de sa vie, Mathieu Picard « participait» à un procès. Le mot méritait des guillemets, car son rôle se limitait à écouter, un peu penché vers l’avant pour ne rien perdre des échanges. La salle d’audience était presque vide. Quelques personnes désœuvrées, le plus souvent âgées, venaient passer leurs journées au palais de justice. Elles trouvaient sans doute dans le spectacle de la dépravation humaine le motif à des réflexions pieuses.
En plus, quatre jeunes gens aux costumes élimés tenaient un carnet dans une main, un bout de crayon dans l’autre.
Un long purgatoire aux «chiens écrasés» marquait leur entrée dans la carrière journalistique. La mine renfrognée, ils prendraient tout de même des notes. L’interdit de publication marquait toujours les causes les plus intéressantes.
— Vous me laisserez maintenant jeter un œil sur ce document. Je l’ai reçu ce matin, mais depuis, de nombreuses affaires m’ont retenu.
Tournant lentement les pages du rapport du coroner, le magistrat s’attarda en particulier au rapport d’autopsie.
Le rythme de sa lecture s’accéléra lorsqu’il parcourut la déposition d’Exilda Lemay. Puis, il leva la tête pour contempler Télesphore
Gagnon.
Mathieu
devina
qu’il
lisait
le
témoignage de ce dernier.
— Maître Francœur, je comprends maintenant mieux votre souci de demander l’interdit de publication.
Le juge fit une pause, puis continua à l’intention du substitut du procureur de la province :
— Vous pensez recevoir le rapport d’analyse des viscères bientôt ?
— Le docteur Derome a pris possession des échantillons ce matin. Tout à l’heure, au téléphone, il m’assurait de pouvoir envoyer les résultats avant la fin de la semaine.
— Avez-vous des témoins à faire entendre, à ce stade des procédures ?
— Compte
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