Mathieu et l'affaire Aurore
garçons, je crois ?
— L’un s’appelle Bédard, l’autre Gagnon. Je leur ai parlé, de même qu’à leurs parents. Ils n’ont rien à se reprocher.
— Simplement parce qu’ils vous l’ont dit?
— Simplement parce que les parents de la petite fille n’ont pas entamé de poursuites contre eux. Pourtant, ils se sont plaints sans pudeur des cinquante dollars dépensés pour la faire soigner.
Toute cette discussion ne servait à rien. Le rapport d’autopsie et l’enquête du policier suffisaient seuls à conduire les suspects à l’étape suivante des procédures. L’avocat de la défense poussa un soupir avant de déclarer forfait.
— J’en ai terminé, monsieur le juge. Au sujet de la caution de mes clients...
— Maître Francœur, je vous ai précisé hier que dans les circonstances actuelles, une libération dans l’attente du procès servirait mal la justice. Nos concitoyens ne comprendraient pas.
Malgré l’interdit de publication, des journalistes évoquaient déjà des informations troublantes, sans doute après avoir parlé à des habitants de Sainte-Philomène. Un crime si spectaculaire animait des désirs de vengeance.
— Mon client a des biens à mettre en garantie.
— Là n’est pas la question.
L’avocat devait poser la question, insister un peu, sinon il paraîtrait s’occuper bien mal des intérêts du couple Gagnon. A la fin, il abandonna la partie, se tourna vers les accusés en faisant un geste d’impuissance.
— L’enquête préliminaire aura lieu mardi prochain, le 24 février. Vous serez prêts ? demanda Choquette.
Les deux avocats donnèrent leur assentiment. Le juge leva la séance, puis il se retira par une porte dérobée dans un mouvement de robe.
Peu après, des agents firent disparaître les deux suspects pour les reconduire à leur cellule. Depuis sa table, Fitzpatrick lança, un peu gouailleur :
— Napoléon, pourquoi avoir accepté de te mêler à cela ?
— Je suis avocat. Mon métier est de défendre les gens.
— Des bourreaux d’enfants ! Tu n’en tireras pas grand-chose, sinon une réputation un peu écorchée.
Elu pour la première fois comme libéral indépendant, rentré dans les rangs libéraux par la suite, le vieux garçon n’avait pas eu d’adversaire lors des deux dernières élections provinciales. Bien plus, il jouait le rôle de président de l’Assemblée législative depuis l’année précédente. Son intervention dans une cause si scabreuse cadrait mal avec sa belle carrière.
— Ils ont droit à une défense. Puis, ce sont des électeurs.
— En te portant à la défense de ces électeurs-là, tu en perdras d’autres, prédit le substitut du procureur général.
— Nous verrons.
Sur ces mots, le député quitta la salle d’audience.
*****
Comme il n’avait pas de cours le samedi, ce jour-là, Mathieu se présenta au bureau du procureur général dès le matin afin d’ouvrir et de classer la correspondance.
D’habitude, personne d’autre ne s’y trouvait. Les avocats du service entendaient réduire leur semaine de travail à cinq jours. Pourtant, il arrivait à l’étage de la bibliothèque de l’Assemblée législative quand Fitzpatrick l’interpella dans le corridor.
— Picard, je viens de téléphoner à votre pension. Une dame à la voix charmante m’a dit que vous sortiez à l’instant pour vous rendre ici.
— La personne est aussi charmante que sa voix : la veuve de Thomas Picard.
Oh ! Vous avez raison.
Dans une si petite communauté, chaque habitant de la Haute-Ville connaissait au moins de vue tous ses concitoyens.
— Mais je ne suis pas là pour commenter sa beauté. J’ai enfin reçu le rapport du laboratoire d’analyses médicolégales.
Devant la mine interrogative de son interlocuteur, il secoua la tête en disant :
— Derome n’a trouvé aucune trace de poison. Nous parlons donc d’un décès attribuable à la septicémie.
Autrement dit, un empoisonnement du sang. L’homme lui tendait un document destiné à figurer au dossier. Après une description de l’analyse à laquelle il ne comprit rien, Mathieu fixa les yeux sur le dernier paragraphe.
Conclusion.
L'analyse des viscères d\Aurore Gagnon a montré l'absence de poisons.
Dr Wiljrid Derome, directeur du laboratoire médico-Légal
— La nouvelle fera plaisir à Francœur, conclut l’avocat.
Par contre, cela va nous compliquer la vie.
— La septicémie a été causée par coups reçus.
— Si je
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