Mathieu et l'affaire Aurore
avec le père de l’accusé. La pression continue de s’exercer sur elle.
Le stagiaire acquiesça. Même si le vieux couple ne la maltraitait pas physiquement, sa seule présence quotidienne l’inciterait à rendre un témoignage complaisant.
— Puis, les enfants se révèlent des témoins difficiles à utiliser, répéta Fitzpatrick. Du simple fait de «rapporter»
contre les auteurs de ses jours, elle paraîtra trahir ce qu’il y a de plus sacré. L’horreur de son geste amoindrira nécessairement la portée du témoignage.
— Les gens y verront même un péché. Le «Tu honoreras ton père et ta mère » hante tous les esprits.
Sans le faire exprès peut-être, Couture avait naturellement adopté l’intonation du curé Massé. Chacun, dans la province, connaissait son catéchisme.
— Dans ce cas-ci, les jurés comprendront, plaida Mathieu.
— Oh ! Mais comme législateur, le Créateur n’a pas fait un si bon travail, commenta le substitut du procureur de la province à voix basse. On ne trouve aucun alinéa dans les commandements de Dieu pour exclure les parents indignes.
Le trio interrompit la conversation pour manger, sinon la nourriture serait bientôt froide.
— Couture, conclut Fitzpatrick en réglant l’addition, je vous souhaite une bonne chasse. Il vous reste encore deux jours. Quelqu’un devra confirmer les mauvais traitements.
Sinon, le doute raisonnable prévaudra.
— Marie-Jeanne a accepté de me parler de nouveau, intervint le stagiaire. Je pourrai peut-être la convaincre de dire toute la vérité au tribunal.
Cela laissa le substitut songeur. Il craignait de la voir se rétracter devant un contre-interrogatoire serré. Napoléon Francœur savait parfois se montrer redoutable. Dans une telle éventualité, la cause serait perdue.
— A l’enquête préliminaire, nous serons en mesure de confirmer les accusations avec les éléments à notre disposition.
Après tout, il s’agit seulement de convaincre la cour de l’existence d’une preuve suffisante. Ce sera bien sûr une autre paire de manches au procès lui-même. Nous en reparlerons alors.
La véritable épreuve de force se déroulerait après l’ouverture des assises criminelles du printemps, en avril.
*****
Le 24 février, le juge Philippe-Auguste Choquette se tenait sur le banc pour l’enquête préliminaire. Les accusés ne se trouveraient pas ensemble dans la boîte, cette fois.
D’abord, tous les deux ne faisaient pas l’objet d’accusations absolument identiques. Ensuite, l’épouse était alitée à cause de la grippe. Télesphore Gagnon serait le premier à prendre connaissance de la preuve réunie contre lui.
— Maître Fitzpatrick? commença le magistrat.
— Nous allons entendre le docteur Marois.
Pour être certain de ne pas se tromper, le médecin autopsiste avait à la main une copie des notes colligées par Mathieu douze jours plus tôt. Il récita la liste des blessures d’une voix monotone, comme s’il se languissait déjà d’aller effectuer une chirurgie à l’Hôtel-Dieu. Le procureur de la Couronne ne se donna même pas la peine de poser des questions pour guider le témoignage : des deux, le médecin semblait le plus familier avec ce genre de procédure.
— Maître Francœur ?
— Je n’ai aucune question, Votre Honneur.
Le docteur Marois ne serait donc pas «transquestionné», comme disaient les journaux. L’avocat de la défense n’avait pas encore pu examiner le compte rendu de l’autopsie avec un médecin à ses côtés pour tout lui expliquer. Ce serait partie remise : d’ici au procès, il devrait trouver un moyen susceptible de miner dans l’esprit des jurés la crédibilité d’un document aussi dévastateur.
— Dans ce cas, annonça Fitzpatrick, nous allons entendre tout de suite le docteur Andronic Lafond.
Celui-là affichait une moins grande assurance. Selon les usages à la campagne, entre connaissances, il salua Mathieu d’une inclinaison de la tête en passant près de son siège. Après la prestation du serment, le substitut du procureur demanda :
— Docteur, depuis combien d’années exercez-vous votre profession à Saint-Jacques-de-Parisville ?
— Depuis 1910.
— Vous pratiquez la médecine depuis ce temps ?
— Oui.
Il s’agissait d’un néophyte, sans aucune expérience de ce genre d’affaire. Il devait sa présence en ces lieux à son statut de témoin informé.
— Etiez-vous présent lors de l’autopsie que le docteur Marois
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