Mathilde - III
posé la question
depuis cet événement tragique durant tous ces longs mois de
convalescence dont elle sortait tout juste.
Peut-être était-ce là le signe qu’elle était définitivement
guérie ?
Assurément, se dit-elle, car elle n’avait nul désir de maternité
après avoir cru mourir en mettant au monde ces filles en ce triste
11 novembre 1915 et avoir failli réellement mourir – du moins
avait-elle fini par s’en persuader – en perdant l’enfant de sa
liaison insensée avec Vassili.
« Insensée ? » se répéta-t-elle étonnée qu’elle
admît enfin une telle évidence. Mais cela appartenait à présent au
passé et elle était tout à son bonheur de s’éveiller de nouveau aux
douces sensations de la vie.
Tous ses bons amis furent ravis que Mathilde fût enfin redevenue
elle-même et, si les fêtes de Noël se passèrent en famille, pour le
nouvel an elle accepta de se joindre à la marquise de Bonnefeuille
et au comte de la Fallois qui avaient coutume de réveillonner au
Ritz
.
N’ayant jamais célébré le passage à la nouvelle année à
l’extérieur, Mathilde en était tout excitée tout comme lors de son
premier bal.
Pour l’occasion, elle se fit confectionner une robe du soir par
Madeleine Vionnet, sa couturière préférée à laquelle elle se fiait
les yeux fermés pour son bon goût. Mais, à l’aube de sa
trente-deuxième année, sa beauté et sa distinction naturelles
étaient telles qu’un « rien » l’habillait et que Mathilde
eût été de toute façon la plus jolie femme de la soirée par sa
seule grâce. Au point qu’elle dut refuser des danses dont elle se
grisa tout autant que de champagne.
Elle voulait que sa soirée fût inoubliable et que la féerie
durât toute la nuit. Son vœu fut exaucé et elle n’avait pas
souvenir d’avoir passé un moment aussi « fou » ni d’avoir
tant ri de sa vie lorsque le fil du triple rang de perles du
maharadjah de Badarath se rompit au cours d’un charleston endiablé
et que plusieurs dizaines de ces petites merveilles, aussi grosses
que des noisettes, se répandirent sur le parquet en une cascade de
billes roulant en tous sens.
La plupart des participants se retrouvèrent alors à quatre
pattes tels des pauvres auxquels on aurait jeté quelques piécettes
à la volée. Cela manquait singulièrement de retenue et la jeune
comtesse de M…, dans le mouvement, se retrouva les seins ballottant
à l’air sans s’en rendre compte, ni même l’assistance car, au même
moment, deux hommes près de s’empoigner et qui se chamaillaient
bruyamment attirèrent l’attention, l’un accusant l’autre d’avoir
dérobé une perle sans que l’on fût assuré que le premier ne la
convoitait pas lui-même. Mais, fort à propos, quoique la princesse
du Jaiflor n’en fût pas volontairement la cause, un malheureux
serveur qui s’avançait roide comme un piquet, portant à bout de
bras son plateau de coupes de champagne, indifférent au tumulte qui
se déroulait à ses pieds, vint à marcher sur la main de la
princesse qui s’y trouvait précisément et, au cri de douleur que
poussa la Jaiflor, de surprise en lâcha ledit plateau. Le bruit
sourd du plateau d’argent chutant sur le sol résonna comme un gong
de fin de partie et les participants à la chasse aux perles à
quatre pattes
s’aperçurent rapidement, dès les premières coupures, que la
multitude de petits morceaux de verre dispersés çà et là la rendait
illusoire, voire dangereuse et les perles ainsi que le verre
finirent ramassés tristement à la pelle et au balai. Ce qui permit
au maharadjah d’en récupérer la plupart – à ce qu’il déclara car il
en connaissait le nombre exact.
Le comte de la Fallois, dont un des ancêtres participa au sac de
Byzance au cours de la quatrième sainte croisade, s’en amusa
beaucoup.
– Bon sang ne saurait mentir ! s’exclama-t-il. Tout
cela est follement décadent et byzantin.
Comme il y avait fort peu de vieille et authentique noblesse du
royaume de France en cette noble assemblée, et encore bien moins de
connaisseurs de ce glorieux passé, ceux qui l’entendirent, dont Mme
de La Joyette qui se trouvait à ses côtés, pensèrent à un bon mot
et prirent l’habitude de qualifier de « byzantine » toute
soirée où le savoir-vivre subissait quelque entorse mais où l’on
s’amusait follement.
Et la suite de l’histoire fut également des plus heureuses et
non sans grandeur, quoique
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