Mathilde - III
préféra
s’abstenir, contrairement à son habitude, de tout commentaire. Mais
elle n’en considéra pas moins que la maternité semblait avoir
altéré les nerfs de sa belle-sœur. Ce qu’elle mit au compte de sa
forte émotivité naturelle et qui ne la surprit guère car Éléonore
avait déjà fait preuve d’un comportement excessif lors de la
naissance de ses nièces en se prenant pour leur mère.
« Elle est aussi jalouse et possessive qu’une chatte avec
ses chatons », se dit Mme de La Joyette en ne pouvant réprimer
une moue de dégoût tant ces comportements de « femelle »
se livrant à l’instinct maternel lui faisaient horreur chez une
femme. Et plus encore chez une femme du monde qui, contrairement
aux femmes des basses classes, appartenait à un univers distinct
ignorant ces comportements primitifs – mais sa belle-sœur
n’avait-elle pas épousé en secondes noces le régisseur du domaine,
ceci expliquant cela ?
D’ailleurs, quand Éléonore s’était mis à couvrir de baisers le
visage de son « petit ange », son « bébé »,
elle avait préféré détourner la tête tant elle avait honte pour sa
belle-sœur qu’elle se donnât ainsi en spectacle. Et la sottise de
ses filles s’émerveillant lui avait presque fait regretter
l’annonce du cadeau. Mais, encore une fois, elle s’était,
hélas ! laissée emporter par son bon cœur et chose promise
chose due.
Elle en soupira et sursauta. Sa belle-sœur l’interpellait.
– Voulez-vous prendre votre neveu sur vos genoux, ma
chère ? Regardez comme il est beau.
Mathilde en fut interloquée. Si elle n’avait jamais pris ses
filles ni dans ses bras ni sur ses genoux, ce n’était pas pour se
livrer à ce genre de familiarité incongrue avec son neveu.
– Je regrette, dit-elle en s’efforçant d’afficher un sourire
désolé, mais ma robe est beaucoup trop fragile.
– Veuillez m’excuser, je n’y avais pas songé, dit Éléonore en se
troublant légèrement car elle avait oublié dans son élan combien
Mathilde était étrangère à l’instinct maternel qui lui semblait, à
elle, la chose la plus naturelle en toute femme.
– Votre fils est effectivement très beau, concéda Mathilde en
faisant un grand effort sur elle-même car, si, à dix-neuf mois,
Charles-Alexandre promettait d’être un enfant robuste, son visage,
bien qu’il eût les yeux de sa mère, serait des plus rustiques. Ce
serait un Bouteux et non un de La Joyette même si sa mère avait
tenté de conjurer le sort en lui donnant pour premier prénom
Charles ainsi qu’il était d’usage chez les de La Joyette. Ce qui,
au sentiment de Mme de La Joyette, faisait parvenu et donc ridicule
en étant accolé à un patronyme plébéien dénué de lustre par
définition.
Après s’être remémorée son séjour, Mathilde en conclut qu’il
avait au moins eu le mérite d’être bref, mais plus jamais, au grand
jamais, se promit-elle, elle n’entreprendrait un voyage en train
avec pour seule aide et compagnie celle de cette gourde de Louison.
Car, si Mme de La Joyette n’attendait pas de sa domestique qu’elle
lui fît la conversation, elle avait espéré, pour le moins, qu’elle
fût de quelque utilité en occupant les jumelles qui se montrèrent
singulièrement énervantes durant tout le trajet de retour en se
chamaillant sur la façon dont elles « habilleraient »
leur poney comme s’il se fut agi d’une simple poupée.
Mme de La Joyette dut y mettre le holà elle-même. Ce qu’elle
détestait par-dessus tout en public tant elle eût souhaité que ses
fillettes se comportassent en tout lieu en parfaite petites filles
modèles. Mais, à vrai dire et au grand désarroi de leur mère,
celle-ci doutait qu’elles le devinssent un jour alors que leur
cousin Pierre, certes de deux ans leur aîné, montrait un grand
sérieux. Peut-être, d’ailleurs, l’était-il trop car il ne cessa de
lire tant au retour qu’à l’aller un volume de
La Terre
qui
semblait fort le passionner.
– N’est-ce pas d’une lecture trop ardue pour votre âge ?
lui avait-elle demandé en lui voyant froncer les sourcils.
– Oh non, ma tante. M. Élisée Reclus écrit fort clairement.
– Je ne connais pas ce monsieur.
– C’est un géographe, ma tante.
– Je suis fort aise, mon cher Pierre, que vous vous intéressiez
à la géographie.
– C’est grâce à Misse Sarah, ma tante. C’est elle qui me
conseille pour mes lectures.
– Oui, mais je
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