Mathilde - III
général Raillard et de son hôtesse dans le
grand salon du premier où avaient été dressés trois buffets. Dont
le sénateur Fendrot et le député Glandar, un radical modéré dont on
disait qu’il serait un jour président du Conseil, ainsi,
évidemment, que plusieurs officiers généraux et même un amiral.
– Mais pourquoi, général, voulez-vous faire les pieds aux
Anglais ? s’étonna la femme du procureur Dubon. Ne sont-ils
pas nos alliés ?
– L’Anglais est perfide, madame ! tonna l’amiral. Ils nous
ont attaqués traîtreusement à Trafalgar sans respecter les règles
du combat naval.
Bedaine en avant, le général Raillard toisa avec dédain le marin
qui avait osé répondre à sa place.
– Nous ne sommes pas réunis pour évoquer les défaites de la
marine mais un des exploits, parmi tant d’autres, de l’armée de
terre, amiral, dit-il d’un ton hautain et sans appel.
Mais déjà les regards s’étaient détournés ostensiblement de
l’amiral pour boire l’histoire en cours aux lèvres mêmes d’un de
ses auteurs.
– Que l’Anglais soit perfide, quoique vaillant, est une litote.
Déjà, il y a à peine trois années de cela, après la défaite des
armées du général Denikine et alors que ce malheureux Wrangel
reprenait le flambeau du combat contre les bolchevistes de Lénine,
ils ont abandonné cette juste cause et nous ont laissés seuls la
soutenir, pour l’honneur de la France !
Des bravos claquèrent dans l’assistance devant ces mâles
paroles.
– Madame, poursuivit le général en s’adressant à Mme Dubon,
l’Angleterre, contrairement à la France et à nos loyaux alliés
italiens et belges, ne souhaite pas le rabaissement de l’Allemagne
et le juste paiement des réparations de guerre. Elle souhaite
qu’elle devienne un rempart contre les bolchevistes et c’est aussi
pourquoi elle s’est fermement opposée à notre décision d’occuper la
Ruhr. Mais nous sommes passés outre et ça leur fait les
pieds ! conclut-il en riant.
– Mais n’est-ce pas un louable souci, général, intervint le
sénateur Fendrot dont la famille avait de puissants intérêts dans
la sidérurgie lorraine et luxembourgeoise, que de vouloir barrer la
route à ces satanés bolchevistes, à ces barbares
asiatiques ?
– Monsieur le sénateur, dois-je rappeler, ainsi que je l’ai fait
tout à l’heure, que lorsque l’Angleterre avait l’occasion de les
combattre par les armes, elle a préféré y renoncer ?
– Certes, répondit sèchement le sénateur vexé du ton
condescendant dont avait usé le général à son égard, mais la partie
était alors par trop inégale.
– Ne voyez-vous pas clair dans les manigances du cabinet
britannique ? demanda le général du même ton que précédemment
où perçait une certaine raillerie du militaire à l’égard du civil.
L’Angleterre préfère commercer avec la Russie des soviets plutôt
que de la combattre, croyez-moi ! Ce qu’elle veut, mais elle
ne peut pas le dire nettement, c’est, par ce prétexte, rétablir la
puissance industrielle et militaire allemande afin qu’elle puisse
entraver dans l’avenir la grandeur de la France.
– Je vous approuve, général, intervint alors le député Glandar
de sa belle voix de basse qui ensorcelait le Parlement qu’il montât
à la tribune ou interpellât de son banc le gouvernement.
L’Angleterre ne peut accepter que, grâce à notre victoire, la
France soit devenue la seule puissance européenne. De toute façon,
le souhait anglais de dresser l’Allemagne contre la Russie est
illusoire. L’Allemagne a soutenu l’établissement et la pérennité du
gouvernement de Lénine pour s’en faire un fidèle allié. Croyez-moi,
elle a plus à attendre de la Russie que de l’Angleterre dans
l’avenir !
– De toute façon, nous avons la Ruhr ! s’exclama le général
Raillard pour reprendre la parole et avoir la conclusion.
– Et l’Alsace et la Lorraine ! surenchérit Miss Sarah en
pouffant de rire, et qui, contrairement à son habitude, avait un
peu trop bu.
Tous les regards se tournèrent vers cette femme noire élégamment
vêtue à la mode dont la présence détonait parmi l’assistance et que
la plupart des présents découvraient pour la première fois, l’ayant
ostensiblement ignorée jusque-là depuis le début de la soirée.
D’abord dubitatifs et quelques-uns sévères, les regards se
firent peu à peu indulgents.
Les nègres n’étaient-ils pas de
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