Mathilde - III
grands enfants ?
– C’est pittoresque ! glapit une femme que Mme de La
Joyette n’avait guère remarquée jusqu’à présent et qui, à ses yeux,
avait tout de la bourgeoise endimanchée – en fait la femme du
député Glandar.
Fort heureusement, et Mathilde en soupira d’aise car elle
connaissait les réactions de Sarah Dufort dans ce genre de
situation, sa chère amie Marie-Thérèse de Bonnefeuille eut la bonne
idée d’opérer une diversion en apostrophant le général
Raillard.
– Avec votre talent oratoire, général, vous devriez faire de la
politique, dit-elle d’un ton enjôleur.
– Mais j’y songe, madame, j’y songe, répondit en souriant le
général en revenant à un ton bonhomme qui ravit ces dames après que
ses mâles accents les eurent fait vibrer.
Le lendemain, Mme de La Joyette était si satisfaite de sa
réception qu’elle ne songeait même plus qu’elle s’était promis de
faire reproche à Sarah Dufort de provoquer inutilement ses amis. De
toute façon, l’Américaine ne lui en laissa pas l’opportunité car
elle partit dans la matinée de dimanche pour l’un de ses mystérieux
voyages d’affaires. Mais elle passa un excellent début d’après-midi
en famille et fut heureuse de se détendre en déchiffrant une
nouvelle partition de piano, plaisir qu’elle avait depuis fort
longtemps délaissée, à vrai dire depuis la mort de son mari.
Ses filles étaient si dépitées de devoir attendre les vacances
prochaine avant de pouvoir profiter du poney qu’elle leur avait
promis pour leurs sept ans qu’elle leur avait offert un piano à
Noël.
– Mais nous ne savons pas en jouer ! avaient protesté ses
filles en le découvrant.
– Précisément, mes chères filles, c’est pour vous permettre de
l’apprendre, car toute jeune fille bien née doit savoir en jouer.
D’ailleurs, j’ai décidé de m’occuper moi-même de votre éducation
musicale.
En fait, Mme de La Joyette s’en lassa très vite, à la fois par
manque de patience et de sens pédagogique, et elle se résolut à
faire appel à un professeur de musique deux fois par semaine, le
lundi et le jeudi. Une femme d’une quarantaine d’années fort bien
née et qui rencontrait quelques difficultés passagères et donnait
des leçons à domicile pour cette raison.
Mme de Saint-Chou lui avait été chaudement recommandée par le
prêtre de sa paroisse de Saint-Pierre-du-Gros-Caillou, mais il
avait omis de lui dire qu’elle appartenait aux Dames d’Action
française et Mme de La Joyette fut surprise qu’elle abordât avec
elle, dès leur première rencontre, le sujet de la restauration
monarchique en paraissant assurée que Mathilde, comtesse de La
Joyette, en était une farouche partisane.
D’abord interloquée, Mme de La Joyette lui répondit qu’elle
était indifférente à la question de la royauté même si l’idée
pouvait en être séduisante, n’osant aller jusqu’à lui dire que la
noblesse s’était fort bien accommodée de l’absence de roi. Mais
elle sut lui faire comprendre qu’elle n’aimait pas que l’on abordât
sous son toit des problèmes politiques. Ce que Mme de Saint-Chou,
nécessité faisant loi, se résolut à admettre, s’excusant, lèvres
pincées, d’avoir pensé que Mme de La Joyette était des leurs.
Mme de Saint-Chou étant fort bonne musicienne, Mathilde tint
l’incident pour clos mais, par prudence, fit en sorte qu’elle ne
croisât pas Miss Sarah qui n’aurait pas su résister au plaisir
d’une joute verbale qui eût fait fuir le professeur de musique.
Certaines des relations de Mme de La Joyette étaient d’Action
française et ne juraient que par Maurras. Mais, si elle trouvait
fort bien que ses partisans manifestassent pour Jeanne d’Arc, elle
jugeait les Camelots du Roi par trop turbulents et estimait
détestable cette façon haineuse de voir en tout juif un agent de
l’Allemagne par le seul fait qu’il fut juif, alors que ce n’était
pas de leur faute et que l’on ne naît pas juif ou nègre parce que
l’on aurait souhaité. D’ailleurs, son médecin et ami le Dr Jacob,
s’il était juif, était un parfait gentleman et un Français des plus
patriotes. De toute façon, sa famille avant abandonné la confession
israélite depuis deux générations et il semblait être
libre-penseur. Et était-on un juif si l’on n’était pas israélite et
comment pouvait-on alors en déduire qu’une personne fût juive à son
seul patronyme ?
Weitere Kostenlose Bücher