Mathilde - III
Tout cela était d’évidence trop absurde et
elle préférait ne pas y songer.
Sur le coup de cinq heures, ce dimanche-là, comme chaque
dimanche, ses bons amis Marie-Thérèse de Bonnefeuille et
Anne-Charles de la Fallois, auxquels se joignait à présent le Dr
Jacob, vinrent lui rendre visite.
Les deux hommes rivalisaient de prévenance à son égard et la
marquise de Bonnefeuille s’en amusait beaucoup, les surnommant les
« deux soupirants » et taquinant Mathilde en lui disant
qu’il lui faudrait bien un jour choisir l’un des deux partis qui
s’offraient si galamment à elle.
– Je m’en accommode fort bien, répondait imperturbablement
Mathilde qui se satisfaisait de cette situation qui convenait
parfaitement à son état d’esprit, estimant que si l’on s’engageait
plus avant avec un homme, fût-il le plus charmant et le plus
délicieux, celui-ci ne pouvait finir que par vous trahir ou vous
abandonner de quelque façon.
En vérité, l’idée d’avoir à choisir l’un ou l’autre lui était
insupportable. Certes, ils étaient fort différents, mais ils
étaient par là même, en quelque sorte, complémentaires.
– Et pourquoi choisiriez-vous donc ? lui avait dit un jour
Marie-Thérèse de Bonnefeuille.
– Que voulez-vous dire ? s’était étonnée Mathilde.
– Ce que j’ai dit ! s’exclama en se riant de sa
« nigaude de jeune amie » la marquise.
– Vous n’y songez pas ! répliqua Mathilde.
– Oh ! si, c’est que je ferais. Fallois est parfait pour
sortir dans le monde et votre petit Dr Jacob doit être un bon
amant, en tout cas meilleur que Fallois si vous voulez en croire
mon expérience – avec ce dernier seulement, je vous rassure, railla
la marquise en voyant le visage de Mathilde se fâcher. Mais vous
n’êtes pas moi, je sais, pourtant vous finirez par ne pas choisir,
ajouta-t-elle avec un petit air espiègle.
– Eh bien, il en sera ainsi, avait conclu Mathilde en se
méprenant sur le sens de la phrase de sa chère amie.
Mais, ce dimanche, il n’était nulle question de marivaudage. Le
comte de la Fallois, d’ordinaire si maître de lui, semblait
fortement troublé.
– Devinez qui j’ai croisé hier soir ? demanda-t-il
rageusement et pour la forme tant il avait hâte de délivrer la
réponse qui, de toute évidence, lui brûlait les lèvres.
– Qui ? demandèrent en chœur les deux femmes fortement
intriguées du comportement de leur ami.
– Paupoil ! L’infâme Marius Paupoil ! jeta-t-il sur un
ton scandalisé.
– Paupoil ? s’écrièrent la marquise et la comtesse en se
laissant tomber sur leur siège dans le même mouvement.
– Lui-même ! Et j’en fus atterré tout comme vous.
– Vous en êtes sûre ? demanda la marquise de
Bonnefeuille.
– Sûr et certain. Ce faquin a d’ailleurs osé me
saluer !
– Il a osé ?
– Oui. Il a osé. Alors, mon sang n’a fait qu’un tour, j’ai eu
envie de briser ma canne sur le crâne de cette fripouille.
– Et vous l’avez fait ? demanda la marquise sans
illusion.
– Non, et je le regrette à présent amèrement, mais je ne pouvais
me commettre avec un tel paltoquet en pleine rue.
– Mais votre canne n’est-elle pas une canne-épée ? insista
la marquise de Bonnefeuille.
– Certes. Mais pourquoi me le demandez-vous ? s’étonna
sincèrement le comte de la Fallois.
– Parce qu’il vous suffisait alors de lui passer votre lame au
travers du corps sans que vous eussiez à vous
« commettre », comme vous dites si bien, mon ami.
– Mais cela eût été un crime ! se récria le comte.
– Cela n’eût été que justice ! intervint Mathilde ne
pouvant se contenir au souvenir de l’affreuse perte financière que
lui avait fait subir l’indélicatesse de ce sinistre individu.
– Mais il n’était pas armé, tenta de plaider en vain le pauvre
Anne-Charles de la Fallois qui regrettait à présent d’avoir délivré
une telle nouvelle à ses deux amies.
– Serait-il indiscret de vous demander qui est ce Marius
Paupoil ? demanda fort à propos le Dr Jacob, tirant le comte
d’embarras.
– Un sinistre individu, répondit Mathilde encore sous le coup de
l’émotion.
– Il était le secrétaire et homme de confiance d’une de nos
relations, le baron Octave Duplay, dit la marquise de Bonnefeuille.
Le baron, qui était un homme d’affaires à la solide réputation,
nous a conseillé de lui confier des placements et son secrétaire
s’est enfui
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