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Mathilde - III

Titel: Mathilde - III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Pecunia
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de manière
définitive quand il lui rendit visite le lendemain de cette
fatidique nuit.
    Elle lui entrouvrit seulement sa porte.
    – L’enfant fantasque et gâtée que vous me jugez n’a plus envie
de vous, dit-elle simplement. Restons bons amis comme devant, ainsi
je le souhaite, mais n’en reparlons jamais plus, s’il vous
plaît.
    Puis elle referma la porte, consciente de s’être montrée quelque
peu brutale avec un être qui ne le méritait pas et lui avait donné
un immense plaisir – car, du bonheur qu’elle avait cru connaître,
seul restait le souvenir du plaisir, constatait-elle amèrement.
Tout cela à cause d’un affreux cauchemar mêlant la mort et à la vie
et ayant autant de puissance sur son existence qu’un édit des
dieux.
    Pour la première fois, ce jeudi-là, le 12 avril 1923,
Mme de La Joyette ouvrit l’un de ses carnets reliés pleine
peau et nota les sombres pensées qui l’habitaient.
    Deux heures durant, elle en noircit page après page – quoique le
terme « noircir » soit fort peu approprié en l’occurrence
car Mme de La Joyette écrivait toujours d’une belle écriture
régulière et avec de rares ratures. Le plus étonnant est qu’elle y
faisait preuve d’une belle grandeur d’âme en avouant combien il
était injuste qu’elle eût traité avec tant de dureté son « fou
d’Antoine » alors qu’il n’était nullement la cause de sa
décision de rompre, même si ses paroles venues fort mal à propos –
« vous êtes une enfant fantasque et gâtée »  – lui
en avaient servi de prétexte. Mais pouvait-elle lui dire que la
cause en était l’appel d’un mort dont elle en venait à douter – de
nouveau ! – qu’il le fût réellement ? C’était là un
tourment des plus maléfiques qu’elle ne pouvait supporter que dans
la solitude.
    Curieusement – mais la création ne se nourrit-elle pas des
blessures de l’âme –, c’est dans ces circonstances douloureuses
que, la semaine qui suivit, Mme de La Joyette écrivit le premier de
ses contes pour enfants qui devaient rapidement établir sa renommée
et qu’elle publia sous son nom de plume de Rebecca Mauclair,
Rebecca étant son troisième prénom de baptême reçu en l’honneur de
son arrière-grand-mère paternelle Stern – qu’elle choisit non pas
pour cette raison mais parce qu’il sonnait bien et qu’elle le
préférait de beaucoup à Adélaïde, son deuxième prénom. Quant à
Mauclair, ce fut volontairement pour honorer le nom de jeune fille
de sa mère ainsi que sa grand-mère la marquise de Mauclair de
Montélian qui l’avait élevée avec tant d’amour.
    Ce premier conte est aussi limpide que l’eau d’une source et nul
ne pourrait y déceler la détresse qui l’habitait alors. Pourtant,
il n’est pas sans rapport avec ce qu’elle venait de vivre si
intensément puisqu’il raconte joliment l’amitié impossible qui
unit, l’espace d’un rêve, un vers de terre et une libellule. La
morale en étant fort édifiante pour les jeunes âmes auxquelles il
était destiné : il ne faut pas rêver contre la nature des
choses et l’ordre de la société, chacun devant accepter de vivre à
la place que le destin lui a choisie.
    Ainsi prise, en quelque sorte, à son propre jeu, Mme de La
Joyette trouva du plaisir à coucher joliment des histoires et à
travailler son heureuse inspiration. Mais sa modestie, s’il elle
accepta de lire ses premiers contes à ses amis qui s’en
émerveillèrent, la retint de les envoyer à un éditeur.
    C’était là son jardin secret.
    Hélas ! comme l’on dit si justement, lorsque le chat n’est
pas là les souris dansent et, tandis qu’elle se consacrait à son
activité littéraire deux pleins après-midi par semaine, ses
domestiques abusèrent de son absence pour s’accorder quelque
liberté dans leur emploi du temps aux dépens de leur service. Ce
dont elle finit par se douter et qui fut cause d’une fâcherie entre
Mme de La Joyette et Sarah Dufort, la gouvernante de Pierre, à
laquelle elle reprocha d’avoir introduit « l’anarchie »
dans l’ordonnancement de son hôtel. Mais l’Américaine ne l’entendit
pas de cette oreille et lui rétorqua que l’on ne vivait plus au
temps des serfs ou des esclaves.
    Mme de la Joyette n’ignorait pas que sa cuisinière, la grosse
Marie, profitait de ces deux après-midi-là pour boire plus que
d’habitude. La façon qu’elle avait de l’esquiver au service du
dîner parlait

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