Mathilde - III
l’interpella-t-elle altière en
faisant fi de la présence des jumelles. Vous jouez aux
entremetteuses avec mes domestiques à mon insu et sous mon propre
toit ! Vous ai-je sollicité pour les marier ?
– Certes, non, comtesse, balbutia Mme de Saint-Chou humiliée.
D’ailleurs, il était dans mes intentions de vous en parler…
– Un peu tard ! la coupa sèchement Mme de La Joyette.
– C’est un garçon très bien, protesta Mme de Saint-Chou.
– J’ai déjà entendu la chansonnette, la persifla Mathilde
ulcérée. Chômeur et camelot du roi ! Quel beau
parti !
– Mais Louison n’est que domestique, dit Mme de Saint-Chou non
sans étonnement.
– Certes, madame, certes ! Mais elle est à mon service et
il est de tradition dans notre famille, dit Mme de La Joyette en la
toisant de haut, d’établir nos gens, lorsque nous jugeons le moment
venu, avec un bon paysan qui saura faire vivre honnêtement sa
famille ou une paysanne bien robuste qui fera de beaux enfants
utiles aux champs et tout occupée de son ménage.
– Mais c’est un camelot du roi, madame ! s’insurgea Mme de
Saint-Chou. Un homme dévoué à la cause de
M. Maurras !
– J’ai beaucoup d’estime pour M. Maurras, mais je trouve
dangereux et insensé d’admettre dans les rangs des Camelots, aux
côtés de notre bonne jeunesse, des individus des basses classes et
même des chômeurs ! C’est à cause d’eux que vos camelots se
comportent comme des voyous qui ne pensent qu’à fracasser le crâne
de leurs adversaires avec leur canne plombée au milieu des
passants. Cela manque singulièrement d’élégance et le manque
d’élégance a toujours été rédhibitoire à mes yeux.
– Ah ! madame, se lamenta Mme de Saint-Chou atterrée,
comment pouvez-vous parler ainsi des braves camelots du
roi ?
– Alors n’en parlons plus, et veuillez vous abstenir à l’avenir
de jouer les entremetteuses avec mes domestiques si vous souhaitez
continuer de donner vos leçons à mes filles.
Mme de La Joyette savoura le plaisir de voir la Saint-Chou
baisser le regard.
– Oui, madame la comtesse, marmonna à regret celle-ci. Je vais
reprendre ma leçon, si vous le permettez ?
– Je vous le permets, chère madame, je vous le permets, dit Mme
de La Joyette avec majesté en accompagnant ses paroles d’un élégant
mouvement de la main.
Mathilde s’attarda quelques instants pour écouter la leçon,
songeant que, si Mme de Saint-Chou en avait eu les moyens, elle eût
renoncé à ses leçons. « Comme quoi, se dit-elle
in
petto,
il ne faut toujours engager le combat qu’avec plus
faible que soi. »
Mme de La Joyette en fut de si bonne humeur qu’elle pardonna à
Louison sa « trahison » après lui avoir fait jurer de
mieux choisir ses galants parmi d’honnêtes travailleurs, lui
accordant même le droit de les recevoir – hors son temps de
service, cela allait de soi – dans l’ancien grenier à foin que
Vassili avait aménagé en chambre au-dessus du garage.
Louison en tomba d’émotion aux genoux de sa maîtresse en lui
rendant mille grâces et ne revenant pas de cette permission pour
elle royale. Mais Mme de La Joyette savait pertinemment ce qu’elle
faisait.
C’était Louison qui s’occupait du ménage de l’appartement-bureau
de la rue Amélie. Elle n’était point sotte et n’avait pu que
constater l’état des draps en refaisant le lit. Aussi était-ce là
le plus sûr moyen de s’assurer de sa muette complicité féminine si,
à nouveau, Mme de La Joyette devait recevoir des visites
intimes.
Mme de La Joyette fit également la leçon à Jeannette pour ce qui
concernait son service qui laissait grandement à désirer selon
elle.
La jeune femme fit mine de se le tenir pour dit tout en sachant
que sa maîtresse continuerait de s’absenter les lundi et jeudi
après-midi et qu’il lui suffisait d’être patiente.
Étrangement, Mme de La Joyette négligea de se soucier de
Marinette Breton, la gouvernante de ses filles, qui lui avait
toujours donné satisfaction au point qu’elle lui laissait quartier
libre lorsque Augustine et Augusta étaient à l’école, à la seule
condition d’être ponctuelle pour les y conduire et les ramener tant
le matin, le midi et l’après-midi, ainsi que lorsque celles-ci
prenaient leur leçon de piano avec Mme de Saint-Chou.
C’est dire si la confiance de Mme de La Joyette était grande à
son égard et qu’elle était loin de se douter un seul instant que
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