Mathilde - III
Joyette car elle
se sentit piéger par « l’alibi » qu’elle avait elle-même
forgé pour que ses rencontres amoureuses fussent entourées de
discrétion lorsqu’il insista pour savoir quel type d’œuvre elle
avait l’intention d’écrire.
– Je ne souhaite pas en parler pour le moment, dit-elle
pour mettre fin au questionnement du comte qui se le tint pour dit
en passant au récit de son souper avec le prince et la princesse de
Vaseton au sortir de l’Opéra.
Anne-Charles de la Fallois avait une façon distrayante de
« croquer » leurs relations, mimant les attitudes et
surtout les travers des uns et des autres. D’habitude, Mme de La
Joyette s’en amusait beaucoup car il était aussi
« commère » que la marquise de Bonnefeuille. Mais il
était intarissable et Mathilde, si elle souhaitait un amant
intarissable, ne le souhaitait point en paroles.
Elle en conclut logiquement qu’elle avait fait le bon choix et
que le moment était venu de franchir le pas. Aussi, lorsque les
deux hommes prirent congé, elle demanda au Dr Jacob, comme si
l’idée lui en était revenue subitement, de ne pas oublier de passer
le lendemain pour la prescription qu’il lui avait conseillée.
Ce qui plongea le Dr Jacob dans une grande perplexité et lui fit
passer une partie de sa soirée à se demander quel remède il avait
bien pu avoir l’intention de conseiller à Mathilde, mettant sur le
compte du surmenage ce « trou de mémoire » qui ne manqua
pas de l’inquiéter dès son réveil le lendemain.
Après avoir passé la matinée à exercer dans la clinique de son
père, le brave Dr Jacob n’avait toujours pas résolu l’énigme, ce
qui l’embarrassa fort car on disait de lui qu’il avait une mémoire
d’éléphant. Un instant, il songea à téléphoner à Mathilde avant le
déjeuner, mais il était trop pris et c’eût été avouer une
défaillance, ce qu’un médecin ne doit jamais faire avec un patient
même si une certaine amitié le lie à ce dernier. Il jugea donc
préférable de passer la voir rue de la Comète lorsqu’il irait
rendre visite à son patient du deuxième étage.
Quand, à dix-sept heures quinze précises, il tira le cordon de
la sonnette, Mme de La Joyette, qui l’attendait fébrilement depuis
quatre heures de l’après-midi alors qu’elle savait pertinemment
qu’il ne pouvait se présenter avant dix-sept-heures, était dans
tous ses états après s’être demandé cent fois si elle avait bien
fait de mettre une robe aussi peu « neutre » pour un
premier rendez-vous et si le Dr Jacob n’avait pas trouvé son
invitation par trop abrupte.
« Viendra-t-il ou lui aurais-je fait peur ? » se
demandait-elle en se tordant les doigts d’anxiété lorsque le timbre
de la sonnerie la fit sursauter.
– C’est lui ! s’exclama-t-elle, sentant son sang ne faire
qu’un tour.
Mme de La Joyette en resta un instant pétrifiée et fut presque
prise de panique lorsque son cœur se mit à battre la chamade comme
jamais. Encore plus fort qu’avec feu son mari ou Vassili, et même
son premier émoi amoureux au pensionnat avec Héloïse Lameur, son
initiatrice des mille et un secrets que recèle le corps
féminin.
Le souffle court et les joues brûlantes, la main tremblante,
elle ouvrit la porte.
– Bonjour, dit le Dr Jacob le visage soucieux. Je suis venu
comme vous me l’avez demandé hier pour votre prescription, mais je
dois vous avouer que je ne parviens pas à me souvenir de quel
remède il s’agit. Vous m’en voyez désolé. Cela ne m’est encore
jamais arrivé.
Mathilde resta interdite un instant et se sentit soudain pâlir
de confusion devant une telle méprise. Ce pouvait-il que le Dr
Jacob fût si niais pour être incapable de deviner qu’elle se
languissait de désir et qu’elle l’avait choisi pour en
guérir ?
Mme de La Joyette eut un mouvement de recul, hésitant une
fraction de seconde sur la conduite à tenir, mais Mathilde
détestait les échecs – d’ailleurs elle n’aurait pu, en toute bonne
foi, s’en rappeler aucun – et, face à un tel malentendu, il n’y
avait qu’une seule attitude possible. Donner le change.
Aussi, dans la demi-seconde suivante, se laissa-t-elle défaillir
dans les bras du Dr Jacob le plus naturellement du monde ainsi
qu’elle avait vu faire l’héroïne dans l’un des rares films qu’elle
eût vus.
Alarmé, le Dr Jacob oublia son ordonnance et prit Mathilde dans
ses bras pour la porter jusque sur le
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