Mathilde - III
d’elle-même et son haleine était des plus éloquentes.
De toute façon, elle avait fini par s’habituer à son penchant pour
la boisson et elle avait d’autres chats à fouetter qu’à s’épuiser à
mener un combat qu’elle savait perdu d’avance tant la grosse Marie
pouvait être rusée. Aussi, tant que la préparation des repas n’en
souffrait pas, elle en avait fait son deuil.
Mais Mme de La Joyette, si elle avait noté à quelques détails –
un mouchoir de batiste mal repassé, quelques grains de poussière
par-ci par-là, un napperon posé à la diable, des regards sournois
échangés entre ses deux chambrières… – qu’un certain relâchement
s’établissait en son absence, n’aurait jamais au grand jamais osé
imaginé dans ses soupçons les plus légitimes que Louison en aurait
profité pour faire monter son galant du moment dans sa
chambrette.
Lorsqu’elle le découvrit, les bras lui en tombèrent de
stupéfaction et d’horreur.
C’était le dernier jeudi du mois de mai, le 31 précisément, et
Mme de La Joyette était revenue plus tôt que prévue de son bureau
car, par inadvertance, elle avait gardé sur elle la somme qu’elle
versait chaque semaine au professeur de piano de ses filles, Mme de
Saint-Chou – qui venait toujours les lundi et jeudi, quoiqu’elle
eût décidé de se passer de ses services après l’affreuse situation
dans laquelle la Saint-Chou l’avait mise avec son
« Marius », mais à laquelle elle s’était résignée étant
donné que les prétentions des autres professeurs pressentis étaient
« excessives ».
Mme de La Joyette traversait tranquillement sa cour quand elle
aperçut Louison sur le seuil de la porte de service en train
d’échanger un dernier baiser – à pleine bouche ! – avec un de
ses galants.
Elle toussota, faisant sursauter de surprise à la fois sa
domestique et son moins que rien qui ne demanda pas son reste et
s’empressa de passer son large tête baissée.
Nez pincé, Mme de La Joyette n’effleura même pas du regard cet
individu de basse extraction. Elle avait mieux à faire !
– Expliquez-moi, ma fille ? dit-elle en s’approchant de
Louison qui était restée pétrifiée de l’apparition de sa maîtresse
à une heure où elle ne s’y attendait pas. Ou, plutôt, reprit
celle-ci d’un ton sans appel, conduisez-moi à votre chambre.
– Mais, je vous assure…, balbutia la pauvre jeune femme qui n’en
pouvait plus, à vingt-neuf ans, de devoir mener ses amours tantôt
en cachette, tantôt à la sauvette.
– Je vous l’ai toujours dit, ma fille. Ce que vous faites à
l’extérieur ne m’intéresse pas, mais il vous a toujours été
signifié que mon toit ne pouvait abriter de telles relations sous
peine d’être renvoyée.
– Je sais, madame la comtesse, dit piteusement la jeune femme en
grimpant l’escalier à contrecœur. Mais je vous assure que nous ne
faisions rien de mal. Nous parlions seulement…
– Vous me prenez pour une idiote, ma fille ! dit Mme de La
Joyette fortement ulcérée d’avoir à monter quatre étages pour une
affaire domestique.
– Oh non ! Dieu m’en est témoin, madame la
comtesse.
– Je vous en prie, ma fille, n’ayez pas l’indécence de mêler
Dieu à vos turpitudes !
– Mais ce garçon est très bien, tenta de plaider Louison en
arrivant au troisième palier. C’est d’ailleurs Mme de Saint-Chou
qui me l’a présenté il y a tout juste quinze jours aujourd’hui…
– Quoi ! Que dites-vous ? se récria Mme de La Joyette
abasourdie par cette révélation.
– Ce que je vous dis, madame la comtesse. Mme de Saint-Chou
pense qu’il me ferait un bon mari.
– Mme de Saint-Chou qui veut marier mes domestiques !
s’écria Mme de La Joyette en levant les yeux au ciel. Mais de quoi
se mêle-t-elle ?
– De mon bien, elle m’a dit, madame la comtesse. Henri est
un de ses protégés. Il est très pieux et il est même camelot du
roi, précisa naïvement Louison en pensant que cela radoucirait sa
maîtresse. Et il avait même un travail avant de se retrouver
chômeur.
Mais Mme de La Joyette n’écoutait plus sa domestique. Il y avait
plus urgent pour le moment.
Plantant sur les marches la jeune femme, elle redescendit
l’escalier et fonça droit sur le salon où Mme de Saint-Chou donnait
leçon à ses filles.
Le professeur de piano recula instinctivement d’un pas en voyant
fondre la maîtresse des lieux sur elle.
– Qu’apprends-je, madame ?
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