Mathilde - III
droit
avez-vous volé mes écrits ?
– Je ne les ai pas volés, rectifia le baron Stern, je les ai
simplement lus.
– Sans ma permission !
– Vous m’en aviez parlé si bien que cela avait excité ma
curiosité.
– C’est indigne !
– Lorsque l’on ne veut pas que l’on lise vos manuscrits, dit-il
calmement, d’ordinaire on ne les laisse pas traîner.
– Je ne laisse pas traîner mes cahiers !
protesta-t-elle.
– Pourtant, vous les avez laissés traîner tout un après-midi sur
le bureau de la bibliothèque quand nous étions au manoir.
– Je les y avais simplement oubliés. Ils ne
traînaient
pas.
– Ils nous arrive tous d’oublier quelque chose un jour ou
l’autre, dit le baron.
– Enfant, je faisais donc partie de ce quelque chose que l’on
oublie un jour ou l’autre ! lança Mathilde cinglante,
rappelant à son père, alors qu’il s’y attendait le moins, son lâche
abandon.
Puis ils s’étaient boudés tout le reste du trajet jusqu’au bas
de la rue Cler où le capitaine Markov s’arrêta pour déposer le
baron Stern.
– Ferez-vous lire un de vos contes à Léon ? demanda ce
dernier alors que le capitaine Markov lui tenait la portière.
– Jamais ! lâcha-t-elle sans le regarder. Je ne veux rien
vous devoir.
Pour Mathilde, l’affaire n’était pas close pour autant et son
père se devait de lui présenter des excuses pour s’être ainsi
immiscé dans sa vie privée. Mais le baron Stern se garda bien de
mettre les pieds dans l’hôtel de sa fille durant quelques jours et
il y reparut finalement comme si rien ne s’était passé lorsqu’il
jugea que le ressentiment qu’éprouvait sa fille à son égard devait
être retombé. En l’occurrence, contrairement à ce que pensait le
baron, le temps y était pour peu de chose et les encouragements de
Miss Sarah pour beaucoup car Mathilde dut convenir avec
l’Américaine qu’une chance inespérée s’offrait à elle de se faire
publier dans les meilleures conditions, se prenant même à rêver que
M. Daudet lui ferait l’honneur d’une préface. Néanmoins, sur ce
dernier point, Miss Sarah se montra plus réservée, ses préventions
envers le personnage politique, préventions que partageait Mathilde
en grande partie, reprenant le dessus sur le talent qu’elle
reconnaissait à l’homme de lettres. Mais Mathilde y tenait.
C’est ainsi que, grâce à M. Léon Daudet, le premier conte de Mme
de La Joyette, signé de son nom de plume de Rebecca Mauclair, fut
publié dans les premiers jours de janvier 1924. Hélas ! il ne
put paraître avec une préface de son bienfaiteur littéraire car une
horrible tragédie, qui bouleversa la France entière, s’était
abattue entre-temps sur la famille Daudet.
Mme de La Joyette ne pouvait y songer sans frissonner d’effroi
et pleurer de compassion tant les circonstances de la mort du jeune
Philippe Daudet, déjà fort douloureuses en soi, donnèrent lieu à
des supputations et à une exploitation partisane des plus
éhontées.
Dans l’après-midi du samedi 24 novembre, le malheureux jeune
homme se suicida dans le taxi dans lequel il avait pris place d’une
balle de revolver et expira dans l’anonymat le plus complet deux
heures plus tard à l’hôpital Lariboisière où il avait été
transporté, mais ce ne fut que le surlendemain de ce drame que le
corps de ce malheureux enfant qui n’avait pas encore quinze ans fut
identifié par son père.
Et le 1 er décembre, le journal anarchiste
Le
Libertaire
osa publier une lettre prétendument écrite par
Philippe Daudet et destinée à sa mère, dans laquelle il proclamait
son adhésion au mouvement anarchiste et où il s’excusait du mal
qu’il causait à sa famille. Satisfaits de leur exploit, ces sans
foi ni loi en profitèrent pour transformer leur journal en
quotidien le 4 décembre en titrant « L’explication du suicide.
Philippe Daudet voulait tuer son père ».
Devant une telle ignominie, Mme de La Joyette se fâcha avec Miss
Sarah qui osa lui soutenir que les faits relatés par ses
« amis » étaient des plus exacts. Mais ceux-ci étaient si
rocambolesques qu’ils ne pouvaient être l’exacte vérité.
Certes, l’enfant était fugueur et avait donné bien du souci à
ses pauvres parents et le mardi 20 novembre il s’était enfui pour
Le Havre, rêvant d’embarquer pour le Canada, mais la somme d’argent
qu’il avait dérobé à sa mère n’y suffisant pas il rentra à Paris.
Et c’est à
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