Mathilde - III
demeurées
infructueuses.
En fait, elle avait grande hâte à présent de rentrer à Paris et
elle eût avancé son départ si elle n’avait vu ses filles et leur
cousin profiter pleinement de leur séjour.
De toute façon, cela lui était impossible.
Elle avait des devoirs envers ses gens qu’elle n’avait que par
trop négligés. Aussi mit-elle à profit le temps restant pour régler
les différends en suspens et rappeler à chacun qu’elle était le
maître de ce domaine. En commençant par son père qui semblait
s’être entiché de Germaine Choissou au point d’exprimer, comme si
cela allait de soi, la folle idée de l’inviter à résider au manoir.
Elle dut lui mettre les points sur les « i » et lui
rappeler qu’il ne pouvait disposer de son hospitalité à sa
guise.
Ainsi qu’elle s’y était attendue, son père, vexé, prit la mouche
et monta sur ses grands chevaux, la menaçant d’aller s’établir chez
la veuve.
– Fort bien, lui répondit-elle calmement, ainsi je n’aurai plus
à subvenir à vos besoins.
– Vous me faites là un bien odieux chantage ! se
récria-t-il scandalisé.
Mathilde ne s’abaissa pas à lui répondre car elle savait que
l’affaire était entendue et elle n’avait cure qu’il boudât jusqu’au
départ, ne doutant pas que son père recouvrerait le peu de bon sens
qu’il lui restait une fois de retour à Paris. Mais, à sa surprise,
il lui revint presque aussitôt malgré la violence de l’altercation.
Dès le lendemain, le baron Stern présenta ses excuses à sa fille
pour s’être laissé emporter aussi sottement et, pour la première
fois, il sembla réellement s’intéressé à sa vie en la questionnant
sur ses travaux littéraires et en lui prodiguant ses
encouragements.
Mathilde en fut très touchée et alla d’étonnement en étonnement
en découvrant que son père était très cultivé et avait fréquenté
par le passé le milieu des arts et des lettres de la capitale, plus
particulièrement le cercle gravitant autour de la famille
Daudet.
En quelques jours à peine, son père cessa d’être un inconnu pour
elle et elle s’en félicita car cela augurait une ère sereine dans
leurs rapports jusqu’à présent conflictuels. Mais, surtout, elle
n’aurait plus à être sur ses gardes vis-à-vis de lui…
Curieusement, lorsque vint le moment du retour, peu après le 15
septembre, elle regretta que les vacances fussent déjà passées,
mais elle savait qu’elle achèverait son conte en cours dès qu’elle
retrouverait la quiétude de son appartement-bureau de la rue Amélie
et qu’elle enchaînerait par un autre racontant l’histoire d’une
petite fille qui se croyait abandonnée tant elle doutait de
l’affection d’un père sans cesse en voyage.
10
Lorsque son père était arrivé de Londres à l’improviste peu
avant le séjour estival dans le Berry, Mathilde l’avait installé
tout naturellement dans une des chambres d’amis, n’envisageant pas
un seul instant que son séjour ne fût que provisoire, mais, à
présent qu’il en était différemment, elle se trouva confrontée
d’emblée, dès son retour à Paris, à la question de son logement.
Fort heureusement, si le baron Stern tenait à ses aises, il tenait
tout autant à sa liberté et ce fut lui qui tira sa fille d’embarras
en lui annonçant qu’il se proposait de louer un appartement, lui
apprenant, par la même occasion, qu’il n’était pas aussi démuni que
Mathilde l’avait supposé, ou que ce dernier le lui avait laissé
croire, puisqu’il envisageait également d’employer une
domestique.
Là encore, ce fut le Dr Jacob qui, mis à contribution pour sa
connaissance particulière du quartier, dénicha un grand
trois-pièces disposant d’une chambre de service dans un immeuble de
la rue Cler, lequel convint parfaitement au baron de par sa
proximité avec l’hôtel de sa fille.
C’est ainsi que s’établit un heureux
modus vivendi
à la
satisfaction de chacun et que Mme de La Joyette s’accoutuma aux
allées et venues de son père au gré de son humeur puisqu’il avait
évidemment table ouverte chez elle et qu’il était de toutes les
réceptions données en l’hôtel. Mais il arrivait également au baron
Stern d’emmener dîner sa fille chez des amis anciens avec lesquels
il avait renoué des relations et que Mme de La Joyette se trouvait
dans l’obligation d’inviter à son tour pour leur rendre
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