Mathilde - III
vers elle en lui adressant un triste
sourire.
– Vous semblez vous ennuyer, dit Mathilde.
– Le mariage est follement ennuyeux, non ? fit Héloïse.
– À ce point ?
– À ce point, oui.
– Vous n’y étiez pas contrainte, pourtant ? s’inquiéta
Mathilde
– Oh que si ! Vous connaissez mes « mauvais »
penchants et mes parents n’ont cessé de me reprocher les rumeurs
qui leur parvenaient.
– Et alors ? demanda Mathilde en sentant le rouge lui
monter aux joues bien malgré elle à l’évocation de leur complicité
de jeunes pensionnaires.
– Connaissez-vous d’autre moyen, lorsque l’on vit en province,
que le mariage pour les faire taire ?
– Non, concéda Mathilde.
– Le contact de son corps m’est un supplice et savez-vous à qui
je pense quand j’y suis contrainte ? demanda-t-elle en posant
sa main sur le bras de Mathilde.
– Non, fit celle-ci en frissonnant imperceptiblement.
Fort opportunément, Maxime Real del Sarte s’approcha des deux
femmes à ce moment et Mathilde lui présenta son amie de jeunesse,
prétextant aussitôt un problème de service pour les laisser en tête
à tête.
En fait de problème de service, Mme de La Joyette venait
d’apercevoir Mme de Saint-Chou vider cul sec un nouveau verre de
vodka.
Le professeur de piano avait tant été affectée par la mort du
jeune Philippe Daudet qu’elle en portait le deuil comme s’il se fût
agi d’un sien parent et Mathilde avait cru bon de l’inviter pour
lui changer les idées, mais elle n’avait pas imaginé qu’elle
oserait se présenter en tenue de grand deuil, voilette comprise, et
qu’elle choisirait sa réception pour y noyer son chagrin.
Discrètement, Mme de La Joyette fit signe à Louison de s’en
occuper et c’est avec soulagement qu’elle vit Mme de Saint-Chou,
verre à la main, suivre docilement la domestique qui l’entraînait
hors le grand salon.
D’ailleurs, Mathilde se demanda si la vodka ne coulait pas un
peu trop à flots car le brouhaha des conversations lui semblait
s’être nettement amplifié au point que le son des balalaïkas lui
parvenait assourdi.
Mme de La Joyette s’inquiéta auprès du prince de
l’approvisionnement du buffet dont les plateaux se vidaient au fur
et à mesure qu’ils étaient apportés.
– J’ai prévu grand, la rassura le prince radieux. Notre
réception est très réussie.
Mathilde sourit sans relever le « notre » et profita
que le capitaine Markov, également en uniforme de cosaque, se
lançait dans une danse des sabres avec deux autres de ses camarades
pour descendre un instant à l’office.
La grosse Marie, sa cuisinière, avait été consternée de se voir
écartée de ses propres fourneaux au profit des Russes mais elle
avait refusé de céder son domaine à ces intrus en le laissant sans
surveillance.
Mme de La Joyette eut un haut-le-corps en franchissant le seuil
de l’office.
Au milieu d’un capharnaüm d’ustensiles de cuisines, de plateaux
et de nourriture, où s’affairaient les trois cuisiniers du prince
Babeskoff s’interpellant à haute voix, la grosse Marie était assise
à la grande table encombrée face à un homme que Mathilde
n’apercevait que de dos, mais elle sut immédiatement qu’il
s’agissait du capitaine Marchal qui était réapparu dans le quartier
vers la fin novembre.
Mathilde n’était pas surprise outre mesure qu’il eût repris ses
« habitudes » à l’office, mais elle estimait la
circonstance mal choisie. D’ailleurs, la grosse Marie ne devait pas
se sentir la conscience tranquille car elle sursauta lorsqu’elle
réalisa la présence de sa maîtresse et se leva gauchement comme si
elle fût prise en faute.
L’homme se tourna alors vers la comtesse, mais à peine avait-il
eu le temps de se lever que Mme de Saint-Chou, la voilette de
travers, déboula en titubant dangereusement, Louison sur ses
talons.
– Elle m’a échappé, s’excusa la domestique.
– Mais que fait-elle là ? demanda interloquée Mme de La
Joyette.
– Il faut que je me repose un peu, marmonna Mme de Saint-Chou la
voix pâteuse en se dirigeant vers la chaise que le capitaine
Marchal occupait l’instant d’avant.
– Vous ne pouvez pas rester là, dit Mathilde comme s’adressant à
une enfant, et des cuisines ne sont pas un lieu de repos,
– Ah ! ce pauvre Philippe ! se lamenta Mme de
Saint-Chou en reniflant.
– Ah non ! cela ne va pas recommencer, s’emporta
Mme de La Joyette. Pas
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