Mathilde - III
victimes Mathilde et nombre de ses
relations en 19 et dont le nom avait été cité par certains
journaux lors du décès de ce pauvre jeune homme ?
N’eût été l’intervention d’Héloïse Mafouin, Mathilde ne l’eût
point reçu, mais elle ne souhaitait pas se fâcher avec son amie de
pensionnat.
Marcellin Mafouin, après les politesses d’usage et l’avoir
félicitée d’un ton mielleux que son conte fît l’objet d’une
deuxième édition trois mois à peine après sa parution, se montra
embarrassé, à la surprise de Mathilde, pour aborder l’objet de sa
visite. Au point que, un instant, elle craignit même qu’il n’osât
lui demander un prêt d’argent.
– Je ne sais comment vous le dire, chère amie, dit-il, car je ne
vous cacherai pas qu’il m’en coûte. C’est fort délicat…
Puis il s’interrompit, comme attendant qu’elle lui donnât la
permission de poursuivre.
– Je vous en prie, l’encouragea-t-elle non sans
appréhension.
– En fait, ce dont j’ai à vous entretenir concerne votre
mari…
–
Feu
mon mari, le reprit-elle machinalement sans
penser à s’étonner qu’il fût venu lui parler d’un mort mis deux
fois en sépulture.
– Certes, fit-il en s’éclaircissant la voix, mais, précisément,
j’ai quelque doute que votre mari soit mort.
Mathilde en resta sans voix. Que lui disait-il ?
– C’est impossible, finit-elle par articuler en se
ressaisissant. J’ai moi-même assisté à la descente du corps de mon
mari dans le caveau de la famille.
– En fait, reprit le préfet, vous avez assisté à la descente de
son cercueil.
– C’est ce que je viens de vous dire, répliqua-t-elle avec
hauteur.
– Effectivement, dit doucement le préfet car il concevait
aisément que ses propos pouvaient choquer la comtesse de La
Joyette. Mais avez-vous reconnu vous-même le corps ?
– Monsieur ! s’indigna Mathilde troublée et effectivement
choquée de la violence du propos pour son indélicatesse. Je fais
confiance aux autorités militaires de mon pays et encore plus au
commandant Raillard qui a eu la bienveillance, en tant qu’ancien
camarade de mon mari, de se charger de cette triste obligation.
Certes, des erreurs ont pu être commises pour de simples soldats
ensevelis à la va-vite ou dont la dépouille était difficilement
reconnaissable, mais pas des officiers ! Et non seulement,
poursuivit Mathilde avec flamme, le commandant Raillard a reconnu
son corps, mais il l’a lui-même vu tomber au champ d’honneur sous
le feu de l’ennemi ainsi que les soldats qui se tenaient dans la
tranchée au moment où mon époux a trouvé une mort héroïque. Vos
propos sont pour moi une offense à la mémoire du capitaine de La
Joyette !
– Je comprends votre émotion, fit le préfet après avoir respecté
un temps de silence, et même votre émoi, mais je vous supplie, au
nom de l’amitié qui vous lie à mon épouse d’écouter ce que j’ai à
vous révéler, et je vous prie également, ajouta-t-il avec
solennité, de n’en parler à quiconque car ces faits relèvent du
secret militaire.
– Je vous écoute ! fit Mathilde en se rencognant dans son
fauteuil et en croisant ses bras sur sa poitrine pour se contenir
et, inconsciemment, se protéger.
– En fait – et je ne vous dirai pas en quelle circonstance –
j’ai pu consulter le dossier d’enquête militaire concernant le
capitaine de La Joyette que les autorités militaires ont ouvert en
janvier 1919 après avoir interrogé un sergent qui appartenait au
bataillon dont votre mari avait pris le commandement pour cette
attaque du 11 novembre 1915. Ce sergent faisait partie des troupes
françaises qui pénétrèrent dans Strasbourg le 21 novembre 1918 et
dont la première tâche fut de désarmer les « soviets »
qui s’y étaient constitués, comme quasiment sur tout le territoire
du Reich, à la suite de l’effondrement allemand. À la tête de sa
section, il interpella lui-même un individu qui lui paraissait
suspect mais qui prétendit être un officier français prisonnier de
guerre qui s’était évadé en profitant des troubles et qui ne
pouvait prouver son identité arguant que ceux-ci étaient restés en
possession des autorités de son camp d’internement. Toutefois,
comme il donna des renseignements crédibles sur le secteur du front
où il avait été fait prisonnier et que le sergent avait d’autres
chats à fouetter à ce moment-là, celui-ci le laissa partir. Mais,
après
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