Mathilde - III
socialistes révolutionnaires et
anarchistes russes, il lui répondait qu’on ne fait pas d’omelette
sans casser d’œufs, que le pouvoir devait appartenir à ceux qui
savaient le conquérir et ne se partageait pas et que la révolution
n’avait que faire des idéalistes et des esprits brouillons qui
n’étaient en fait que les alliés objectifs de l’impérialisme.
Jacques reprochait à Marinette son esprit petit-bourgeois dont
son indécision à adhérer aux Jeunesses communistes était la preuve.
Mais Marinette fut heureuse que le Cartel des gauches remportât les
législatives du 11 mai et elle se réjouit pour Jacques Fléton que
Doriot fût élu député de Saint-Denis, alors qu’il n’avait que
vingt-six ans, et pût ainsi sortir de prison grâce à son
élection.
Le dimanche précédent, le 4 mai, Marinette avait eu le bonheur
d’assister, en compagnie de Mme la comtesse, de ses enfants et de
ses amis, à l’ouverture des VIII es Olympiades à Paris,
mais toutes ces joies furent de courte durée car les nouvelles
provenant du Rif étaient des plus inquiétantes et aussi bien les
partis de droite que le Cartel des gauches rêvaient d’en découdre
avec le leader rifain Abdelkrim au prétexte qu’il menaçait le
protectorat français sur le Maroc, mais ils ne pouvaient surtout
pas admettre qu’un peuple montagnard se fût soulevé contre une
nation occidentale en taillant en pièces, en juillet 1921 à Anoual,
après trois semaines d’un combat acharné, un contingent espagnol
fort de vingt mille hommes, alors qu’ils n’étaient eux-mêmes que
trois mille, tuant dix-huit mille soldats, en faisant plus de mille
prisonniers et s’emparant en outre de tout leur armement, soit
vingt mille fusils, quatre cents mitrailleuses, deux cents canons,
leurs obus, des millions de cartouches sans compter toute
l’intendance ainsi que deux avions. C’était un désastre pour
l’Espagne et un affront pour la France que Lyautey était bien
décidé à ne pas laisser impuni, mais Abdelkrim pouvait mobiliser
jusqu’à cent mille fusils et ses hommes avaient parfaitement appris
le maniement des armements modernes alors que les forces françaises
étaient moitié moins nombreuses.
C’est au tout début juillet que le fils cadet du prince
Babeskoff, qui s’était engagé dans la Légion étrangère avec le fils
aîné du colonel Rozanov, fut blessé au cours d’une escarmouche
autour d’un poste avancé de l’armée française. Mais il eut beaucoup
de chance car trois de ses camarades y laissèrent la vie. Le prince
Babeskoff, plus homme d’État que militaire, en fut bouleversé et
regrettait que sa « tête brûlée » de fils eût choisi
d’aller jouer les héros sur une terre barbare plutôt que d’être à
ses côtés au restaurant. Ses propos heurtèrent M. le baron Stern
qui, bien que n’ayant jamais connu le feu, tint de mâles propos en
lui faisant valoir que la conduite héroïque de son fils lui
vaudrait la Médaille militaire.
– La vie de mon fils est bien supérieure à toutes les médailles,
répliqua dignement le prince Babeskoff. Pour un père, la gloire de
son fils est de le voir mener une vie d’honnête homme et de fonder
une famille, non d’aller se faire tuer en tentant de tuer des
hommes qu’il ne connaît même pas et qui savent peut-être, eux, pour
quoi ils risquent leur vie.
M. le baron Stern en resta pantois et Mme de La Joyette surprit
tous les présents en prenant la main du prince Babeskoff dans les
siennes, lui disant, fort émue :
– Vous êtes un bon père, prince, et un merveilleux ami. Je
serais très honorée que votre fils soit autorisé à venir passer sa
convalescence au manoir.
Pour Marinette Breton, Mme la comtesse était certes fantasque et
imbue de nombreux préjugés, mais nul ne pouvait lui contester sa
grandeur d’âme, sentiment que partageaient tous ceux qui la
côtoyaient.
D’ailleurs, elle le manifesta de nouveau lorsque, peu après son
arrivée au manoir, son amie de pensionnat qui avait épousé le
préfet Mafouin, et formait avec celui-ci un couple si mal assorti,
vint lui rendre visite et lui révéla qu’elle était détentrice d’un
secret la concernant qu’elle ne pouvait lui celer depuis que ses
parents le lui avaient confié.
Ce n’était point une rumeur et toute la bonne société de Bourges
partageait ce secret, le recelant au sein de leurs propres secrets
de famille comme leur appartenant en propre.
Amandine et
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