Mathilde - III
elle
avait tant attendu le retour avec une folle espérance que ce maudit
Mafouin avait tenté, en vain, la veille, de faire renaître.
12
Marinette Breton avait été fière de la confiance que lui avait
témoignée Miss Sarah lorsqu’elle lui avait demandé, ce mardi 19
février, d’aller prévenir le capitaine Marchal qu’il devait quitter
au plus tôt son appartement de la rue Duvivier et se rendre
« où il savait ».
Mme la comtesse s’était longuement entretenue avec le préfet
Mafouin en début d’après-midi et Marinette soupçonna qu’il devait y
avoir une relation de cause à effet entre la visite de ce
personnage à la sinistre réputation et le nécessaire départ du
capitaine Marchal.
Avec le temps, Marinette s’était habituée à l’apparence du
capitaine Marchal et, puisque Miss Sarah le protégeait, elle avait
imaginé qu’il devait s’agir d’un proscrit obligé de se cacher ou
d’un agent de la nouvelle Internationale dissimulant son
identité.
Ce n’était pas la première fois que l’Américaine lui confiait
une missive ou un bref message à transmettre à cet homme au rude
aspect, au prétexte de lui porter un pâté ou une part de gâteau. Il
lui était même arrivé dans ces circonstances de rester quelque
temps auprès de l’homme qui semblait trouver plaisir à lui parler,
s’enquérant de la santé des fillettes et de leurs progrès
scolaires, mais il ne parlait jamais de Mme de La Joyette.
Marinette aurait aimé le questionner à son tour sur les terribles
expériences qu’il avait dû traverser si Miss Sarah ne lui avait
interdit de poser quelque question que ce fût au capitaine
Marchal.
Le lendemain, lorsque Mme de La Joyette apprit le départ du
capitaine Marchal, elle en fut fort contrariée et même troublée
alors qu’elle lui accordait si peu d’intérêt d’ordinaire.
– C’est incroyable, dit-elle à Miss Sarah, chaque fois que je
fais un pas vers cet homme, il disparaît à ce moment précis. À
croire qu’il me fuit !
– C’est juste une coïncidence, lui répondit l’Américaine. Il a
dû être appelé par quelque obligation en province.
– En tout cas, cela est bien étrange, fit mélancoliquement Mme
de La Joyette en ouvrant l’ouvrage que lui avait offert le
capitaine Marchal la veille de son départ.
Mais, à quelque temps de là, une autre disparition mit en émoi
Mme de La Joyette et ses amis.
Alors que la marquise de Bonnefeuille, le comte de la Fallois,
le Dr Jacob ainsi que M. le baron Stern étaient en train de prendre
le thé en compagnie de Mme la comtesse, le prince Babeskoff déboula
sans s’être fait annoncé en poussant force vociférations et en
moulinant l’air de ses petits bras, ce qui lui donnait un aspect
fort effrayant.
Quoique habitués aux extravagances du prince, Mme de La Joyette
et ses amis en restèrent bouche bée de saisissement et la
domesticité, attirée par ses hurlements d’outre-tombe, vint
s’agglutiner à la porte du petit salon.
– Ah ! mes amis ! s’écria-t-il en se laissant choir de
tout son poids sur la première chaise venue qui émit un sinistre
craquement. Ah ! mes amis ! répéta-t-il aux bords des
larmes.
Mme de La Joyette fut la première à se ressaisir car elle
connaissait l’oiseau et ses talents de comédien.
– Pouvez-vous nous expliquer, prince ? demanda-t-elle sur
ses gardes.
– Oh ! la la ! gémit-il en lorgnant avec une moue de
dégoût la théière.
– Louison, ma fille, veuillez apporter au prince un remontant,
ordonna Mme la comtesse.
Le prince la gratifia d’un pauvre sourire en dodelinant du
chef.
Mme la comtesse et les présents patientèrent que le prince eût
avalé deux grands verres d’armagnac coup sur coup, ce qui prit en
fait fort peu de temps mais les secondes pesaient des minutes à ce
moment-là.
– Alors, prince ? fit Mme la comtesse comme s’adressant à
un grand enfant.
– Oh ! mes amis, dit le prince en s’épongeant le front d’un
grand mouchoir, vous ne pouvez pas savoir !
– Et pour cause, fit Mme la comtesse en s’impatientant.
– Constantin Alexeïevitch a été enlevé, bredouilla le prince de
nouveau au bord des larmes et suppliant Louison du regard de lui
servir un autre verre d’armagnac.
– Le colonel Rostov ? s’étonna le comte de la Fallois.
– Mais par qui ? demanda le Dr Jacob qui s’attira un regard
de mépris de M. le baron Stern.
– Il a
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