Mathilde - III
s’était montré si prévenant à son
égard.
– Comment l’oncle et le neveu ont-ils pu me jouer une telle
comédie ! s’exclama-t-elle.
– Je ne suis pas sûr que le général Raillard soit au courant de
ce « fait d’armes » de son neveu, dit avec amertume
Charles-Auguste. On « couvre » ce dernier par tous les
moyens, en ayant recours aux dernières extrémités, pour que le
scandale n’éclate jamais. Et comme je suis déjà mort…
– Ô mon amour ! fit Mathilde en passant sa main dans la
barbe de son mari.
– Venez…, murmura-t-il.
– À une condition, que vous rasiez cette horrible barbe qui vous
mange votre visage, dit-elle en feignant de résister.
– Cela va de soi, dit-il en s’inclinant et en claquant des
talons, ce qui fit sursauter Mathilde et la troubla un court
instant…
Quand Mathilde se réveilla vers les huit heures le lendemain
matin, elle sursauta, ne reconnaissant pas la chambre où elle avait
pourtant passé la nuit avec son mari et qui était sa chambre de
jeune fille. Les draps et sa peau étaient encore tout empreints de
son odeur, mais il ne lui restait que cela et Charles-Auguste ne
l’avait même pas éveillée pour lui faire ses adieux.
Elle se souvenait de leurs corps qui s’étaient merveilleusement
retrouvés, d’abord maladroitement après tant d’années tant leur
impatience était grande de se donner l’un l’autre, puis…
Mathilde se blottit sur elle-même tant son ventre se contractait
rien qu’à l’évocation de leur folle nuit qu’ils avaient vécue l’un
l’autre comme si elle était la première de leur vie ou devait être
la dernière. Elle se souvenait également qu’elle s’était endormie
harassée dans les bras de Charles-Auguste, joue contre joue.
Était-il parti peu de temps après, alors qu’elle dormait à
poings fermés, pour qu’elle ne se fût pas rendu compte de son
départ ? Et quand le reverrai-je ? Puis elle songea
aussitôt avec horreur que Charles-Auguste ne pourrait peut-être
jamais reprendre sa propre identité et sa place dans le monde des
vivants et elle se mit à pleurer. Mais ses larmes lui firent honte
alors que son mari courait les plus grands dangers et qu’il
attendait d’elle qu’elle jouât son rôle.
Mathilde déjeuna à l’office avec Amandine et Gustave qui y
avaient toujours pris leurs repas. Ils restèrent silencieux et elle
leur en sut gré, mais elle ne manqua pas de les remercier pour tout
ce qu’ils avaient fait, sans prononcer le nom de son mari.
D’ailleurs eux-mêmes ne l’évoquèrent pas.
Mathilde leur demanda s’ils ne manquaient de rien et elle les
blessa involontairement en leur proposant l’aide d’un domestique.
Toutefois, ils manifestèrent l’envie de revoir les fillettes et
Pierre, mais ils refusèrent de venir passer ne serait-ce qu’une
journée au domaine des De La Joyette car ils avaient de tout temps
étaient habitués à être « chez eux ».
Mathilde sourit en songeant qu’elle était en quelque sorte la
petite-nièce de ces singuliers parents qui étaient toujours restés
dans l’ombre de ses grands-parents.
Après le déjeuner, Mathilde parcourut les corridors de l’hôtel
sans pénétrer dans aucune des pièces dont elle savait que chaque
meuble, objet ou tableau se trouvait à la même place que dans son
enfance.
Par une des fenêtres du premier étage donnant sur le jardin clos
de murs, elle imagina Charles-Auguste le parcourant jusqu’à la
petite porte donnant sur la ruelle et elle revit son visage enfin
redevenu lui-même, n’ayant conservé de sa barbe qu’un mince collier
et une fine moustache.
Elle sursauta au son sourd du marteau de la porte.
Il était onze heures et le capitaine Markov était ponctuel comme
à son habitude. Mais c’était un visiteur et, au son de la voix de
Gustave qui l’avait élevée volontairement, assurément un
importun.
Elle avait vu juste et en eut la chair de poule en reconnaissant
la voix du préfet Mafouin.
Mathilde ne pouvait que manifester sa présence et elle descendit
l’escalier le plus lentement possible.
– C’est vous, cher ami ? fit-elle en feignant la surprise
en se dirigeant vers le hall. J’ai cru qu’il s’agissait de mon
chauffeur. Je vous prie de m’excuser pour ma méprise.
– Vous l’êtes, chère comtesse, dit le préfet de sa voix
mielleuse pour lui baiser la main. Mais c’est à moi de vous prier
de m’excuser d’avoir pris la liberté de venir vous
Weitere Kostenlose Bücher