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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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samedis matin. Si le nombre de ses élèves augmentait, elle pourrait également l’utiliser les mardis et les jeudis soir. Les aiguilles réussirent finalement à se décoller et l’horloge marqua huit heures trente. Trois fois le carillon sonna, trois fois Philippe partit à la course pour répondre à la porte et conduire les mères et leurs enfants vers la salle d’attente. Imitant Élisabeth, il leur parlait comme s’ils avaient été des patients de son père.
    – Vous n’aurez pas à attendre, le professeur est là pour vous. Est-ce que vous voulez que je suspende vos lainages?
    Élisabeth le remercia tout en lui faisant signe qu’il en faisait peut-être un peu trop. Ses trois élèves, deux fillettes et un garçonnet d’à peine six ans, la regardaient, ne sachant trop s’ils devaient sourire ou pleurnicher en s’enfouissant le nez dans la jupe de leurs mères. Élisabeth pria ces dernières de revenir à la fin du cours et elles se regardèrent avec étonnement, se demandant ce qu’elles feraient pendant ce temps.
    – Vous voulez dire que vous ne voulez pas que nous restions pendant la leçon?
    – C’est ce que je veux dire. J’aime faire des petits groupes avec les débutants.
    Élisabeth eut soudainement peur qu’une mère ne lui demande si elle avait beaucoup d’expérience. En ce cas, elle aurait été forcée d’admettre qu’elle en était à ses débuts. Comment pouvait-elle expliquer qu’elle avait assisté sa mère pendant tout le temps de la guerre et qu’elle en avait tiré des centaines de leçons? La mère du garçonnet s’inquiéta qu’Élisabeth prenne son enfant seul.
    – Il est tellement gêné. Les sœurs, elles...
    Élisabeth l’interrompit poliment, lui rappelant que les sœurs étaient si bonnes qu’elles n’avaient pu prendre son enfant, faute de place. La mère ne parla plus et partit avec les deux autres. Élisabeth s’accroupit par terre et demanda à ses élèves de l’imiter. Elle leur parla de la magie de la musique et les invita à ouvrir leurs étuis.
    – Il faut le faire comme si vous ouvriez une boîte d’œufs.
    Les élèves ricanèrent et Élisabeth prit le violon de sa mère.
    – Il arrive que les quatre cordes ne s’entendent pas du tout. Alors, il faut les accorder.
    La leçon passa rapidement et Élisabeth n’expliqua pas aux mères pourquoi elles avaient retrouvé leurs enfants grimpés sur des chaises, tenant leurs violons comme s’ils les avaient bercés.

38
    Le vendredi arriva après s’être fait attendre autant que tous les vendredis et Jan pensa avec horreur que c’était le jour des trois jeûnes. Il abhorrait le vendredi, qui le privait de viande. C’était le jour où, en tout et pour tout, il mangeait deux rôties, un bol de soupe et une crêpe sans sirop. M. Bergeron, lui, se disait dispensé du jeûne prescrit par l’Église. Pour déjeuner, il engouffrait une omelette faite avec pas moins de six œufs et accompagnée de trois rôties. Au dîner, il mangeait à lui seul deux pâtés au saumon qu’une dame bienveillante venait porter tous les jeudis. Elle faisait des œillades à «ce pauvre M. Bergeron qui n’a même pas une femme pour s’occuper de lui et qui n’a pas trouvé de bonne à tout faire assez compétente pour répondre à ses exigences». Jan aurait mis sa main à brûler que les exigences de M. Bergeron dépassaient de loin le seuil de sa chambre, mais, de cette réflexion-là, il ne s’était pas confessé non plus. Il n’en pensait pas moins que M. Bergeron devait être un vieux vicieux qui regardait mais ne pouvait plus toucher. Jan avait déjà connu un homme comme ça à Amberg et il lui avait cassé la mâchoire quand il l’avait vu épier le pauvre corps décharné de sa sœur, un jour où elle se faisait une grande toilette. Élisabeth n’avait jamais su pourquoi il n’avait pu jouer duviolon pendant près de deux semaines à cause d’une foulure de la main droite.
    Jan était étendu sur le dos, les deux mains derrière la tête pour comprimer le mal lancinant qui lui rongeait l’occiput. Jamais, avant d’arriver à Saint-Adolphe, il n’avait su qu’il avait une tête. Maintenant qu’elle le torturait régulièrement, il avait appris à s’en méfier. Le mal était toujours le même. Tel un orage, il commençait par un grondement pour finalement éclater, lui inondant les yeux d’éclairs rouges. Quand il l’attaquait dans les champs, Jan était complètement impuissant, à la

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