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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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sien. Dans sa dernière lettre, elle lui avait encore parlé de Marek comme s’il devait rentrer d’un jour à l’autre et Jancraignait qu’elle ne redevienne amoureuse. Il cligna des yeux et changea de position. Étonnamment, chaque fois qu’il était étendu et qu’il pensait à sa sœur, il se couchait du côté gauche, comme s’il essayait de se protéger le cœur.
    Le matin avec son menu de gruau granuleux était arrivé sans que Jan ait eu le temps de se dévêtir. Il ouvrit les yeux et fut soulagé de constater que son mal de tête avait pâli en même temps que les étoiles. Ses compagnons avaient déjà filé aux bâtiments. Jan n’était heureusement pas de corvée ce dimanche. Il l’était un dimanche sur trois. C’était la seule concession que M. Bergeron s’était autorisée, mais Jan savait que l’abbé Villeneuve l’avait menacé de tous les feux de l’enfer s’il ne permettait pas à son protégé d’assister à l’office du dimanche. Bergeron avait accepté mais, sitôt la soutane disparue, il était revenu sur sa parole, ne donnant que deux dimanches de congé sur trois.
    – Tu ne vas pas répéter ça à ton maudit curé, parce que si tu en parles, je te réserve une surprise.
    Jan avait hoché la tête et en souriant lui avait répondu qu’il avait probablement évité l’enfer de justesse, devant se contenter de quelques flammes du purgatoire, beaucoup moins chaudes.
    – Et pas parce que je n’ai pas tous mes dimanches de congé, mais parce que vous avez dit du père Villeneuve qu’il était un maudit curé. Je pense que Dieu n’a pas de pardon pour ça.
    Jan se débarbouilla rapidement et se brossa les dents. Tout à coup, il mordit sa brosse, comme un chien s’accrochant à un os. La brosse toujours dans la bouche, il se dirigea vers un coin de la pièce où il avaitcaché ses économies et en fit le compte fébrilement. Il en avait probablement assez, pensa-t-il, la brosse reposant à l’intérieur de la joue. Il chercha une boîte, prit celle du dentifrice qu’il avait jetée sur le dessus de la corbeille à ordures et la remplit de toutes ses épargnes. Prenant un crayon rogné, il griffonna quelques mots sur un papier qu’il enroula autour de la boîte et retint par un élastique, hésita quelques secondes avant de refermer, serrant la main aussi fort que ses lèvres qu’il pressait l’une contre l’autre. Il trouva un vieux sac brun qu’il métamorphosa en papier d’emballage et adressa le colis à Élisabeth. Il colla dessus tous les timbres qu’il avait trouvés dans une vieille enveloppe froissée au fond du tiroir de sa table de chevet bancale.
    Jan marchait d’un pas rapide, ayant horreur d’arriver en retard à l’église même s’il ne prenait jamais place sur les bancs. Il aimait mieux rester à l’arrière de la nef avec les autres Polonais, qui, comme lui, préféraient être debout et fiers devant leur Dieu. Jan aperçut le traversier qui venait de l’autre rive, amenant les familles au saint sacrifice dominical. Ceux qui avaient raté ce bac arriveraient de justesse avant l’offertoire.
    Jan approchait de l’église. Il regarda l’heure et courut un peu avant d’arriver à la
Coop
, piqua à droite, traversa la rue et s’empressa de glisser son colis dans la boîte du bureau de poste. Le bac était arrivé un peu avant lui, et Jan, emboîtant le pas aux passagers, marcha devant le couvent et arriva finalement en face de l’église recouverte de planches de bois assemblées à clins et dont la peinture blanche s’écaillait et cloquait. Il monta lentement les quelques marches, laissa passerles gens avant d’enlever sa casquette et de se tremper la main droite dans le bénitier verdâtre et visqueux.
    Jan écouta l’homélie d’une oreille distraite. Chaque fois qu’il venait à la messe et voyait M. Bergeron faire ses dévotions, il en avait une crise de foi, ne cessant de penser aux sépulcres blanchis. Mais, sitôt ses pensées alignées, il se reprochait d’être lui-même une espèce de pharisien prompt à lancer la première pierre. Il essaya, en faisant la file pour aller communier, d’oublier sa haine. C’était le seul moment de la semaine où Bergeron ne risquait pas d’être lapidé. Jan s’agenouilla à la balustrade, s’enfouit les mains sous la nappe blanche et empesée, surveilla la patène qui s’approchait, à son avis, un peu trop près des gorges. Il ouvrit enfin la bouche, tira la langue et accueillit

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