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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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Il inspira profondément pour se donner du courage et frappa à la porte alors que le soleil était depuis longtemps couché et que la maison baignait dans le calme de la plaine qu’il devinait par endroits grâce à l’éclairage de la lune. La chance était de son côté car ce fut Anna qui lui ouvrit. À son grand soulagement, elle le reconnut. La surprise d’Anna fut cependant si grande qu’elle fut incapable de prononcer un seul mot, ne pensant même pas à le faire entrer.
    – «Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois.» Il paraît qu’il y aurait du travail ici pour quelqu’un qui boite mais qui connaît bien deux choses. La première: comment prendre son mal en patience quand une jambe le torture; et la seconde: comment traire une vache canadienne blanche tachetée de noir comme tous les paysages que j’ai vus depuis que je suis au Manitoba. Parce que j’imagine que vous avez au moins deux de ces animaux...
    Anna n’avait pas encore placé un mot et Jerzy espérait que son manteau l’empêchait de voir que son cœur battait assez fort pour qu’il l’entende comme s’il l’avait écouté au stéthoscope.
    – La porte, Anna!
    La phrase avait été lancée en polonais et Jerzy sentit une chaleur l’attaquer jusqu’au cœur après avoir embrasé la moelle de chaque os, même celui de sa jambe blessée. Il comprit qu’il venait enfin d’arriver à destination. Anna recula d’un pas pour lui permettre d’entrer, ce qu’il commença de faire avec une timidité qu’il ne s’expliqua pas. La mère d’Anna venait de les rejoindre, inquiète de ne rien entendre et de voir le froid lécher les planchers. Anna lui présenta Jerzy; la mère reconnut rapidement en lui le jeune homme du train qui avait si brillamment combattu pour la patrie et dont Anna n’avait cessé de parler.
    – Mais, Anna! À quoi penses-tu? Tu le laisses grelotter, le pauvre petit! Entrez donc, monsieur. Entrez.
    Jerzy posa sa valise et se frotta les mains – parce qu’elles étaient un peu froides, certes, mais davantage pour se donner une contenance. On le débarrassa de son manteau et de sa valise et on le força à s’asseoir. Pour une rare fois depuis son départ de Cracovie, il eut le sentiment de plaire à son père, par ses ambitions résolument tournées vers l’avenir. Il n’avait pas encore eu le temps de parler et la langue lui démangeait presque de dire à Anna qu’elle était encore plus belle que dans ses rêves les plus fous, et de le lui dire en polonais.

37
    Seule dans sa chambre, Élisabeth était d’une fébrilité maladive. Depuis deux semaines qu’elle attendait impatiemment, elle avait certainement perdu des dizaines d’heures de sommeil. Le mois de mai était arrivé depuis trois jours et il ne lui restait que quelques heures à survivre avant que ne commence ce qu’elle croyait être sa vraie nouvelle vie. Elle avait étalé tous ses cahiers de musique sur le lit et ne cessait de les feuilleter, souriant devant les notes d’une pièce, chantonnant devant une autre, s’attristant lorsqu’elle reconnaissait un air que sa mère avait particulièrement affectionné. Ce chagrin ressemblait maintenant davantage à un engourdissement chronique qu’à une douleur aiguë.
    Depuis qu’Élisabeth avait réussi son examen à l’académie Saint-Joseph et qu’elle avait un diplôme d’enseignement, les Dussault l’avaient secondée dans son idée de recevoir des élèves à domicile. Elle avait bien essayé d’intéresser Philippe et Grégoire, mais ils semblaient préférer les sports et les livres. Conformément à ce que sa mère lui avait appris, elle n’avait pas tenté de les contraindre, pensant que la présence d’autres enfants pouvait peut-être les faire changer d’idée. Elle regarda l’heure et s’assura que sa montre fonctionnait toujours. La vie, parfois, lui semblaitcoincée dans le filet du temps. Elle ferma les cahiers et descendit à la cuisine pour offrir à M me Dussault de l’aider à préparer le repas de midi. M me Dussault refusa, alléguant qu’à huit heures il était peut-être un peu tôt. Élisabeth sourit et enfila un tablier pour terminer la vaisselle du petit déjeuner. Le docteur Dussault passa les saluer avant de partir pour ses visites à domicile, comme tous les samedis matin.
    – Alors, Élisabeth, tu penses que la salle d’attente du bureau va faire l’affaire?
    – Cent fois plus que ça!
    Élisabeth disposerait de la salle tous les

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