Même les oiseaux se sont tus
merci de la douleur qui devenait intolérable, surtout au soleil. Quand, comme ce soir, l’orage éclatait et que Jan était dans ses quartiers, il s’étendait, nauséeux, s’enfouissait la figure dans un oreiller et cherchait à cacher sa peur. Car son mal, à son grand désespoir, lui faisait presque aussi peur que les pétarades de mitraillette qu’il avait souventes fois entendues.
– Tiens! le Galicien recommence ses jérémiades de fille.
Jan souleva l’oreiller pour regarder d’un œil mauvais ses compagnons. La compassion n’étranglait personne et Jan grimaça avant de se couvrir le visage de nouveau.
– Monsieur a mal à la tête chaque fois qu’on a des grosses journées de travail...
– Monsieur a peur d’abîmer ses belles mains de fifille qui joue du violon...
– Monsieur pense peut-être qu’il est le meilleur parce qu’il vient d’Europe...
– ... et que lui il a connu la guerre...
– La guerre! Boum, boboum, boboboBOUM! Ah! Je meurs!
Jan essayait de ne pas entendre, mais tous les mots résonnaient dans sa tête déjà cognée. Chaque fois que le mal le terrassait, ses compagnons recommençaient leur harcèlement. Jan savait qu’ils profitaient de sa faiblesse. Souffrant, il ne pouvait les tabasser. Pour eux, c’était l’heure du règlement de comptes.
Jan commença à s’énerver et l’intensité du martèlement redoubla. Il retint un haut-le-cœur en essayant de penser à ce qu’il ferait dès que la période convenue avec M. Bergeron serait terminée. Il avait insisté pour que celui-ci lui garantisse un emploi jusqu’en 1950. Pour avoir cette assurance, il avait accepté d’être payé moins cher que les autres employés, saisonniers pour la plupart, excepté ces deux métis qui ne recevaient aucune rémunération, M. Bergeron les ayant pris en tutelle. Jan n’avait pas choisi cette date au hasard. Il pensait qu’en deux ans et demi il aurait accumulé assez d’argent pour rentrer à Montréal et travailler chez M. Favreau. S’il arrivait malheur à sa sœur – ce qui, à son avis, ne saurait tarder –, il pourrait prendre soin d’elle et demander à M. Bergeron de l’employer elle aussi, peut-être comme bonne à tout faire. De toute façon, si Bergeron ne voulait pas – ce que Jan souhaitait quand même secrètement –, il se disait que le père Villeneuve et lui pourraient certainement voir à ce qu’Élisabeth travaille pour les Filles de la Croix, au couvent de Saint-Adolphe. Quant à lui, il savait aussi qu’il ne pourrait rien faire tant qu’il ne serait pas majeur et il ne le deviendrait qu’en avril 1950.
Jan avait maintes fois pensé à fuguer, la méchanceté de M. Bergeron étant souvent venue à bout de sa patience et de son indulgence. Même le chien de Cracovie n’avait jamais été aussi mesquin. Jan s’étaitpar contre toujours raisonné, ne remettant jamais les coups, craignant que ce salopard de Bergeron ne contacte les policiers ou, pire, les agents de l’Immigration.
Jan se leva péniblement et se dirigea en chancelant vers l’évier du coin des ablutions. Il ouvrit la seule armoire et en sortit une bouteille d’aspirines, en dévissa le couvercle brun, légèrement rouillé, et sortit la ouate. La fiole ne contenait que des pois secs. Il se tourna et regarda les autres, soupçonneux.
– Qui a caché les aspirines?
Les métis haussèrent épaules et sourcils. Jan comprit qu’ils n’avaient touché à rien et ne put croire que Bergeron s’amusât à faire de telles mesquineries. Il revint vers l’évier, activa la pompe pour faire couler l’eau glacée, y trempa une guenille qu’il se mit sur la tête, et retourna vers son lit pour s’y laisser tomber avec précaution, évitant à sa tête le moindre soubresaut. Jan déplorait parfois la gentillesse de l’abbé Villeneuve. Il lui savait gré de l’avoir parrainé, mais aurait préféré être laissé à lui-même plutôt que d’avoir à rendre des comptes. Villeneuve était une personne importante, mais dont la simple présence dans sa vie était plutôt contraignante. Cependant, pour Élisabeth, Villeneuve avait été un sauveur.
Jan soupira et essaya de ralentir ses pensées, mais celles-ci galopaient à un rythme fou. Élisabeth, même s’il ne l’avait vue qu’une fois depuis cinq mois, lui pesait lourd sur le cœur. Il était toujours inquiet à son sujet et savait que jamais il ne pourrait l’abandonner et que son bonheur dépendrait toujours du
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